Déclaration de la société civile et des organisations de jeunesse africaines et européennes sur les questions clés du partenariat UA-UE

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Déclaration de la société civile et des organisations de jeunesse africaines et européennes sur les questions clés du partenariat UA-UE

Addis Ababa and Brussels—8 April 2024

Un partenariat florissant entre l'Afrique et l'Europe ne peut être fondé que sur le principe fondamental de l'unité de l'humanité. Cela implique que la prospérité et le bien-être d'un continent sont inextricablement liés au bien-être de l'autre. Si beaucoup approuvent cette proposition en principe, le remodelage des structures et des relations entre les deux continents en fonction de la réalité de l'interdépendance mondiale nécessitera des efforts soutenus et sincères. La relation Afrique-Europe est souvent décrite comme un partenariat, mais les relations existantes ne reflètent pas encore cet idéal. Bon nombre des systèmes économiques et politiques actuels ont été créés à une époque où la primauté d'une partie du monde était considérée comme une donnée fondamentale. En outre, les objectifs géopolitiques européens et les intérêts économiques des grandes entreprises multinationales continuent de peser lourdement sur les relations. 

Pour surmonter les effets complexes de cette réalité, il faudra que les voix des personnes les plus touchées par les décisions soient placées au cœur de la relation. Il faudra également résister à la tendance d'une région du monde à se considérer comme un modèle à suivre. Les cadres politiques qui associent largement la prospérité et le succès à l'expérience de l'urbanisation et de l'industrialisation dans le Nord mondial, par exemple, devront être réévalués. Un partenariat significatif exige donc la reconnaissance du fait que les deux continents sont sur un chemin d'apprentissage commun, aucun n'ayant perfectionné un paradigme de prospérité qui soit durable et qui favorise la justice mondiale. Ces principes auront des implications dans tous les domaines de la politique, exigeant que l'on s'intéresse aux causes profondes des problèmes, et pas seulement à leurs symptômes superficiels. À cet égard, nous soulignons ci-dessous plusieurs domaines spécifiques qui requièrent une attention particulière et dans lesquels les contributions de la société civile peuvent apporter de la valeur et renforcer les relations entre l'Union africaine et l'Union européenne. 

Gouvernance, paix et multilatéralisme

La nécessité de se concentrer sur les causes profondes est particulièrement pertinente dans le domaine de la gouvernance et de la sécurité. Le respect de la vie et de la dignité humaine est une valeur fondamentale, profondément ancrée dans les sociétés civiles africaines et européennes et chez les jeunes. Nous notons avec une profonde inquiétude la prévalence croissante des conflits violents dans différentes parties du monde. Les dispositifs de gouvernance, des structures constitutionnelles aux politiques pratiques, doivent chercher à protéger les droits de l'homme et à respecter l'État de droit, tant au niveau national qu'international. Les instruments existants de lutte contre les conflits, tels que l'architecture africaine de paix et de sécurité, doivent être mieux utilisés à l'appui de ces objectifs. En outre, il est impératif que les jeunes, les femmes et les personnes handicapées soient systématiquement inclus dans les efforts de prévention des conflits, de médiation, de consolidation de la paix et de diplomatie, comme le soulignent les résolutions 2250, 1325 et 2475 des Nations unies et le plan d'action de l'UE en faveur de la jeunesse. 

L'absence de protection sociales et de services publics adéquats, ainsi que le manque de possibilités d'éducation et d'emploi, contribuent à la méfiance à l'égard des gouvernements et créent un terrain fertile pour la propagation des idéologies extrémistes et du terrorisme. Outre la fourniture de ces services et de ces opportunités, l'UE, l'UA et les États membres devraient donner la priorité aux efforts proactifs visant à promouvoir la cohésion sociale et à prévenir les conflits dans le cadre de partenariats inclusifs, participatifs et fondés sur la confiance avec la société civile et les communautés elles-mêmes. 

Une gouvernance multilatérale efficace et des efforts visant à promouvoir la paix et le bien-être nécessiteront des espaces permettant à une variété d'acteurs africains et européens de s'engager conjointement à différents niveaux, des espaces dans lesquels une conversation ouverte et riche sur les expériences, les besoins, les défis et les opportunités respectifs peut se dérouler. Le mécanisme d'engagement de la société civile UA-UE (CSEM) proposé est l'un de ces espaces qui peut remplir une fonction de rassemblement, en facilitant l'interaction et l'engagement entre les acteurs des deux continents. Il est particulièrement important que les acteurs de terrain aient la possibilité de s'engager avec les institutions à différents niveaux, afin de garantir que les politiques et les stratégies élaborées au niveau intercontinental favorisent les priorités communes, que les initiatives phares soient en phase avec les réalités locales et les éventuelles solutions existantes, et que personne ne soit laissé de côté. 

Systèmes alimentaires et transformation rurale

La réalisation du droit à l'alimentation pour tous nécessite des systèmes alimentaires justes, durables et résilients, définis par les populations, ancrés dans la souveraineté alimentaire et façonnés par les frontières planétaires. Les fondements de ces systèmes existent déjà, dans les modalités d'approvisionnement alimentaire familiales, territorialement ancrées, à petite échelle et diversifiées qui nourrissent la majorité de la population mondiale, en particulier en Afrique. Cependant, leur potentiel est freiné par la domination d'un modèle d'approvisionnement alimentaire corporatif et industriel mondialisé, qui bénéficie d'une attention et d'un soutien politiques disproportionnés. 

Pour repenser les systèmes alimentaires de manière à promouvoir une prospérité partagée et un équilibre écologique, il faudra soutenir la prise de décision politique démocratique ancrée dans un cadre de droits de l'homme en mettant en œuvre le mécanisme d'engagement de la société civile proposé, en renforçant le rôle du Comité des Nations unies sur la sécurité alimentaire mondiale (CSA) et en respectant les cadres internationaux fondés sur les droits, tels que la déclaration des Nations unies sur les droits des paysans. 

Nous appelons à : réorienter les financements vers la transition agroécologique et réduire la dépendance de l'Afrique à l'égard des importations de denrées alimentaires en donnant la priorité aux investissements et aux financements de l'UE en faveur de la production alimentaire agroécologique paysanne et en élaborant des modalités permettant de canaliser les financements directement vers les petits producteurs par l'intermédiaire de leurs organisations ; défendre les semences paysannes et l'accès des populations à la terre et leur contrôle sur celle-ci ; protéger les marchés alimentaires territoriaux contre les importations qui entraînent une sous- cotation des prix des produits locaux ; interdire la production et l'exportation de pesticides très dangereux et promouvoir la production d'engrais biologiques ; appliquer une perspective de genre à toutes les activités et à tous les investissements dans le domaine de l'alimentation et de l'agriculture ; et veiller à ce que les politiques et les pratiques de l'UE ne compromettent pas la sécurité alimentaire et nutritionnelle des pays partenaires, en particulier les politiques dans les domaines de la dette, du climat, du commerce, de l'agriculture et de la pêche, ainsi que le devoir de diligence des entreprises. 

Climat et énergie

Les crises du climat, de l'environnement et de la biodiversité sont mondiales, mais leurs répercussions sont locales. La lutte contre le changement climatique et la dégradation de l'environnement exige que la promotion du bien commun mondial soit considérée comme un objectif primordial, qui n'est pas moins important que la préservation des intérêts nationaux ou régionaux. L'UE et l'UA doivent respecter et dépasser les engagements internationaux afin de prévenir les pires conséquences du changement climatique. Les dirigeants et les décideurs politiques d'Afrique et d'Europe sont confrontés à une question cruciale lorsqu'ils examinent les mérites de toute action proposée en matière de climat et d'énergie, qu'elle soit nationale ou internationale : une décision fera-t-elle progresser le bien de la population des deux continents, voire du monde entier ? 

La recherche de solutions intégrées permettant de réduire la dépendance aux combustibles fossiles, de promouvoir l'adaptation au climat, de protéger la biodiversité et d'assurer une transition juste pour tous nécessitera des processus décisionnels inclusifs qui impliquent les communautés concernées et soulignent le lien entre la durabilité environnementale et l'équité sociale. Un engagement plus étroit avec la base, notamment par l'intermédiaire du CSEM, permettra une compréhension approfondie de l'impact des politiques adoptées sur un continent sur un autre. Cet engagement est nécessaire pour donner aux communautés locales, en particulier aux peuples autochtones, aux organisations de la société civile, aux femmes et aux populations rurales, les moyens de prendre en main la gouvernance de la biodiversité, les initiatives en matière de climat et leur mise en œuvre. 

Migration et mobilité

La question des migrations internationales ne peut être abordée indépendamment des relations plus larges entre les deux continents. Tout cadre prétendant aborder la question des migrations ne peut se dispenser d'examiner les disparités économiques qui ne cessent de se creuser à l'échelle mondiale, la production, la distribution et l'utilisation des richesses, l'organisation des matières premières mondiales ou la coordination des marchés. Après tout, il est impossible de minimiser les facteurs de migration tout en négligeant de reconsidérer les processus économiques qui laissent à certains pays peu de chances de prospérer. Les décideurs européens en particulier doivent réfléchir à l'effet involontaire de leurs politiques, qu'elles soient étrangères, commerciales, d'investissement ou environnementales, sur les conditions socio- économiques qui déterminent les flux d'individus à travers les frontières. 

En outre, il est impératif de recadrer le discours sur les migrants, en passant d'un discours qui les présente comme un fardeau, voire une menace, à un discours qui met l'accent sur les multiples contributions qu'ils apportent à la vie des sociétés dans lesquelles ils migrent. Ce principe exige que les Unions africaine et européenne collaborent plus étroitement pour renforcer la coopération en matière de migration et de mobilité en tant que processus légitime à fort potentiel de développement, avec des politiques européennes plus sensibles aux demandes africaines, y compris l'ouverture de nouvelles voies pour la migration régulière. L'une des conséquences pratiques de cette démarche est la nécessité de revoir les régimes de visas qui pèsent de manière disproportionnée sur les citoyens africains. L'octroi de visas universitaires, par exemple, devrait être revu afin de renforcer les programmes d'échange pour les étudiants, les professeurs et les chercheurs. L'intégration accrue de la jeunesse africaine et européenne au sein de divers réseaux, associations et plateformes de jeunesse contribuera également à faciliter les échanges culturels, à renforcer la collaboration et à cultiver le sens de la citoyenneté mondiale et de la responsabilité chez les jeunes. 

La protection et le traitement équitable des personnes dans le besoin, telles que les réfugiés et les personnes déplacées, doivent rester une priorité commune. À cet égard, les systèmes de supervision du travail des agences chargées de l'asile et des frontières doivent être renforcés afin de remédier au traitement injuste et parfois cruel des personnes qui tentent de franchir les frontières. La criminalisation de ceux qui agissent par solidarité avec les migrants doit être évitée. 

Le développement humain par la santé et l'éducation

Lors du sommet UA-UE de 2022, la santé est apparue comme une préoccupation politique majeure, notamment dans le contexte de la réponse à la pandémie de COVID-19. La santé reste un élément fondamental du développement durable, il est donc essentiel de maintenir cette priorité dans la mise en œuvre des engagements du partenariat. Des efforts ont été déployés pour stimuler la production locale de produits de santé en Afrique, mais les progrès vers la couverture sanitaire universelle (CSU) ont été lents et les investissements dans les infrastructures et le personnel qualifié dans le secteur de la santé restent désespérément nécessaires. Il est primordial de préserver la souveraineté de l'Afrique en matière de santé et de promouvoir une approche de la santé fondée sur les droits, y compris la santé et les droits sexuels et génésiques (SRHR) et l'égalité des sexes. 

L'accès à une éducation de qualité et inclusive à tous les niveaux, de la petite enfance à l'enseignement primaire, secondaire et supérieur, y compris l'enseignement et la formation techniques et professionnels, est tout aussi essentiel. Des mesures urgentes doivent être prises pour garantir l'accès universel à l'éducation, quel que soit le contexte socio-économique ou autre (par exemple, handicap, réfugiés ou migrants, minorités ethniques, femmes et filles). Il est également essentiel de décoloniser les systèmes éducatifs afin qu’ils reflètent le contexte, les réalités et les défis propres aux pays africains. L'accent doit être mis sur la fourniture d'une éducation abordable, accessible et de haute qualité qui dote la jeunesse africaine des aptitudes et des compétences nécessaires pour prospérer dans un monde en évolution rapide et le façonner. Compte tenu des pénuries actuelles et prévues, en particulier sur le continent africain, il est de la plus haute importance d'investir dans les infrastructures, la formation et le développement professionnel des éducateurs, leurs salaires et leurs conditions de travail. 

Des investissements nationaux et internationaux importants sont nécessaires pour renforcer les systèmes de santé, d'éducation publique et de protection sociale, notamment en élargissant la marge de manœuvre budgétaire des pays africains par le biais d'un allègement de la dette. 

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Les défis auxquels est confronté le partenariat UA-UE ne feront probablement qu'augmenter en gamme et en complexité. L'adoption des ajustements de la pensée et de l'action décrits ci-dessus permettra de franchir des étapes importantes vers la relation sincère et mutuellement bénéfique que les deux partenaires ont appelée de leurs vœux. 

 

Signatories / Signataires 

– ACT Alliance EU

– ActionAids

– Justice and Dignity for the Women of Sahel 

– Africa Europe Faith Justice Network AEFJN 

– African Women's Development and Communications Network (FEMNET) 

– African Youth Commission

– AfroLeadership 

– All Africa Conference of Churches

– Alliance for Food Sovereignty in Africa (AFSA) 

– Bahá´í International Community

– Biodiversity and Biosafety Association of Kenya (BIBA-K)

– Caritas Africa 

– Caritas Europa 

– Centre for Social Impact Studies (CeSIS) 

– CIDSE 

– CONCORD Europe 

– Deutsche Stiftung Weltbevölkerung (DSW) 

– Food and Agricultural Youths Institute of IAAS 

– Independent Continental Youth Advisory Council on AfCFTA (ICOYACA) 

– Network of the Independent Commission for Human Rights in North Africa (CIDH Africa) 

– Observatoire Kisal Bénin 

– One Hour for Europe ITALIA/Youth Intra Dialogue on Europe and Africa (OHFE/Y-IDEA) 

– PELUM Zambia 

– PMU Sweden 

– Red Cross EU 

– Single Mothers Association of Kenya (SMAK) 

– Symposium of Episcopal Conference of Africa and Madagascar (SECAM)

– Syndicat UMT Maroc 

– Tanzania Association of Non-Governmental Organizations TANGO 

– Vienna Institute for International Cooperation and Dialogue (VIDC)

– WaterAid 

– Wetlands International 

– West African Network of Peasants and Agricultural Producers (ROPPA)

– YEWGlobal Foundation 

– Youth Alliance for Leadership and Development in Africa (YALDA)

– Youth Senate Kenya