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Déclaration de la société civile et des organisations de jeunesse africaines et européennes sur les questions clés du partenariat UA-UE

Déclaration de la société civile et des organisations de jeunesse africaines et européennes sur les questions clés du partenariat UA-UE

Addis Ababa and Brussels—8 April 2024

Un partenariat florissant entre l'Afrique et l'Europe ne peut être fondé que sur le principe fondamental de l'unité de l'humanité. Cela implique que la prospérité et le bien-être d'un continent sont inextricablement liés au bien-être de l'autre. Si beaucoup approuvent cette proposition en principe, le remodelage des structures et des relations entre les deux continents en fonction de la réalité de l'interdépendance mondiale nécessitera des efforts soutenus et sincères. La relation Afrique-Europe est souvent décrite comme un partenariat, mais les relations existantes ne reflètent pas encore cet idéal. Bon nombre des systèmes économiques et politiques actuels ont été créés à une époque où la primauté d'une partie du monde était considérée comme une donnée fondamentale. En outre, les objectifs géopolitiques européens et les intérêts économiques des grandes entreprises multinationales continuent de peser lourdement sur les relations. 

Pour surmonter les effets complexes de cette réalité, il faudra que les voix des personnes les plus touchées par les décisions soient placées au cœur de la relation. Il faudra également résister à la tendance d'une région du monde à se considérer comme un modèle à suivre. Les cadres politiques qui associent largement la prospérité et le succès à l'expérience de l'urbanisation et de l'industrialisation dans le Nord mondial, par exemple, devront être réévalués. Un partenariat significatif exige donc la reconnaissance du fait que les deux continents sont sur un chemin d'apprentissage commun, aucun n'ayant perfectionné un paradigme de prospérité qui soit durable et qui favorise la justice mondiale. Ces principes auront des implications dans tous les domaines de la politique, exigeant que l'on s'intéresse aux causes profondes des problèmes, et pas seulement à leurs symptômes superficiels. À cet égard, nous soulignons ci-dessous plusieurs domaines spécifiques qui requièrent une attention particulière et dans lesquels les contributions de la société civile peuvent apporter de la valeur et renforcer les relations entre l'Union africaine et l'Union européenne. 

Gouvernance, paix et multilatéralisme

La nécessité de se concentrer sur les causes profondes est particulièrement pertinente dans le domaine de la gouvernance et de la sécurité. Le respect de la vie et de la dignité humaine est une valeur fondamentale, profondément ancrée dans les sociétés civiles africaines et européennes et chez les jeunes. Nous notons avec une profonde inquiétude la prévalence croissante des conflits violents dans différentes parties du monde. Les dispositifs de gouvernance, des structures constitutionnelles aux politiques pratiques, doivent chercher à protéger les droits de l'homme et à respecter l'État de droit, tant au niveau national qu'international. Les instruments existants de lutte contre les conflits, tels que l'architecture africaine de paix et de sécurité, doivent être mieux utilisés à l'appui de ces objectifs. En outre, il est impératif que les jeunes, les femmes et les personnes handicapées soient systématiquement inclus dans les efforts de prévention des conflits, de médiation, de consolidation de la paix et de diplomatie, comme le soulignent les résolutions 2250, 1325 et 2475 des Nations unies et le plan d'action de l'UE en faveur de la jeunesse. 

L'absence de protection sociales et de services publics adéquats, ainsi que le manque de possibilités d'éducation et d'emploi, contribuent à la méfiance à l'égard des gouvernements et créent un terrain fertile pour la propagation des idéologies extrémistes et du terrorisme. Outre la fourniture de ces services et de ces opportunités, l'UE, l'UA et les États membres devraient donner la priorité aux efforts proactifs visant à promouvoir la cohésion sociale et à prévenir les conflits dans le cadre de partenariats inclusifs, participatifs et fondés sur la confiance avec la société civile et les communautés elles-mêmes. 

Une gouvernance multilatérale efficace et des efforts visant à promouvoir la paix et le bien-être nécessiteront des espaces permettant à une variété d'acteurs africains et européens de s'engager conjointement à différents niveaux, des espaces dans lesquels une conversation ouverte et riche sur les expériences, les besoins, les défis et les opportunités respectifs peut se dérouler. Le mécanisme d'engagement de la société civile UA-UE (CSEM) proposé est l'un de ces espaces qui peut remplir une fonction de rassemblement, en facilitant l'interaction et l'engagement entre les acteurs des deux continents. Il est particulièrement important que les acteurs de terrain aient la possibilité de s'engager avec les institutions à différents niveaux, afin de garantir que les politiques et les stratégies élaborées au niveau intercontinental favorisent les priorités communes, que les initiatives phares soient en phase avec les réalités locales et les éventuelles solutions existantes, et que personne ne soit laissé de côté. 

Systèmes alimentaires et transformation rurale

La réalisation du droit à l'alimentation pour tous nécessite des systèmes alimentaires justes, durables et résilients, définis par les populations, ancrés dans la souveraineté alimentaire et façonnés par les frontières planétaires. Les fondements de ces systèmes existent déjà, dans les modalités d'approvisionnement alimentaire familiales, territorialement ancrées, à petite échelle et diversifiées qui nourrissent la majorité de la population mondiale, en particulier en Afrique. Cependant, leur potentiel est freiné par la domination d'un modèle d'approvisionnement alimentaire corporatif et industriel mondialisé, qui bénéficie d'une attention et d'un soutien politiques disproportionnés. 

Pour repenser les systèmes alimentaires de manière à promouvoir une prospérité partagée et un équilibre écologique, il faudra soutenir la prise de décision politique démocratique ancrée dans un cadre de droits de l'homme en mettant en œuvre le mécanisme d'engagement de la société civile proposé, en renforçant le rôle du Comité des Nations unies sur la sécurité alimentaire mondiale (CSA) et en respectant les cadres internationaux fondés sur les droits, tels que la déclaration des Nations unies sur les droits des paysans. 

Nous appelons à : réorienter les financements vers la transition agroécologique et réduire la dépendance de l'Afrique à l'égard des importations de denrées alimentaires en donnant la priorité aux investissements et aux financements de l'UE en faveur de la production alimentaire agroécologique paysanne et en élaborant des modalités permettant de canaliser les financements directement vers les petits producteurs par l'intermédiaire de leurs organisations ; défendre les semences paysannes et l'accès des populations à la terre et leur contrôle sur celle-ci ; protéger les marchés alimentaires territoriaux contre les importations qui entraînent une sous- cotation des prix des produits locaux ; interdire la production et l'exportation de pesticides très dangereux et promouvoir la production d'engrais biologiques ; appliquer une perspective de genre à toutes les activités et à tous les investissements dans le domaine de l'alimentation et de l'agriculture ; et veiller à ce que les politiques et les pratiques de l'UE ne compromettent pas la sécurité alimentaire et nutritionnelle des pays partenaires, en particulier les politiques dans les domaines de la dette, du climat, du commerce, de l'agriculture et de la pêche, ainsi que le devoir de diligence des entreprises. 

Climat et énergie

Les crises du climat, de l'environnement et de la biodiversité sont mondiales, mais leurs répercussions sont locales. La lutte contre le changement climatique et la dégradation de l'environnement exige que la promotion du bien commun mondial soit considérée comme un objectif primordial, qui n'est pas moins important que la préservation des intérêts nationaux ou régionaux. L'UE et l'UA doivent respecter et dépasser les engagements internationaux afin de prévenir les pires conséquences du changement climatique. Les dirigeants et les décideurs politiques d'Afrique et d'Europe sont confrontés à une question cruciale lorsqu'ils examinent les mérites de toute action proposée en matière de climat et d'énergie, qu'elle soit nationale ou internationale : une décision fera-t-elle progresser le bien de la population des deux continents, voire du monde entier ? 

La recherche de solutions intégrées permettant de réduire la dépendance aux combustibles fossiles, de promouvoir l'adaptation au climat, de protéger la biodiversité et d'assurer une transition juste pour tous nécessitera des processus décisionnels inclusifs qui impliquent les communautés concernées et soulignent le lien entre la durabilité environnementale et l'équité sociale. Un engagement plus étroit avec la base, notamment par l'intermédiaire du CSEM, permettra une compréhension approfondie de l'impact des politiques adoptées sur un continent sur un autre. Cet engagement est nécessaire pour donner aux communautés locales, en particulier aux peuples autochtones, aux organisations de la société civile, aux femmes et aux populations rurales, les moyens de prendre en main la gouvernance de la biodiversité, les initiatives en matière de climat et leur mise en œuvre. 

Migration et mobilité

La question des migrations internationales ne peut être abordée indépendamment des relations plus larges entre les deux continents. Tout cadre prétendant aborder la question des migrations ne peut se dispenser d'examiner les disparités économiques qui ne cessent de se creuser à l'échelle mondiale, la production, la distribution et l'utilisation des richesses, l'organisation des matières premières mondiales ou la coordination des marchés. Après tout, il est impossible de minimiser les facteurs de migration tout en négligeant de reconsidérer les processus économiques qui laissent à certains pays peu de chances de prospérer. Les décideurs européens en particulier doivent réfléchir à l'effet involontaire de leurs politiques, qu'elles soient étrangères, commerciales, d'investissement ou environnementales, sur les conditions socio- économiques qui déterminent les flux d'individus à travers les frontières. 

En outre, il est impératif de recadrer le discours sur les migrants, en passant d'un discours qui les présente comme un fardeau, voire une menace, à un discours qui met l'accent sur les multiples contributions qu'ils apportent à la vie des sociétés dans lesquelles ils migrent. Ce principe exige que les Unions africaine et européenne collaborent plus étroitement pour renforcer la coopération en matière de migration et de mobilité en tant que processus légitime à fort potentiel de développement, avec des politiques européennes plus sensibles aux demandes africaines, y compris l'ouverture de nouvelles voies pour la migration régulière. L'une des conséquences pratiques de cette démarche est la nécessité de revoir les régimes de visas qui pèsent de manière disproportionnée sur les citoyens africains. L'octroi de visas universitaires, par exemple, devrait être revu afin de renforcer les programmes d'échange pour les étudiants, les professeurs et les chercheurs. L'intégration accrue de la jeunesse africaine et européenne au sein de divers réseaux, associations et plateformes de jeunesse contribuera également à faciliter les échanges culturels, à renforcer la collaboration et à cultiver le sens de la citoyenneté mondiale et de la responsabilité chez les jeunes. 

La protection et le traitement équitable des personnes dans le besoin, telles que les réfugiés et les personnes déplacées, doivent rester une priorité commune. À cet égard, les systèmes de supervision du travail des agences chargées de l'asile et des frontières doivent être renforcés afin de remédier au traitement injuste et parfois cruel des personnes qui tentent de franchir les frontières. La criminalisation de ceux qui agissent par solidarité avec les migrants doit être évitée. 

Le développement humain par la santé et l'éducation

Lors du sommet UA-UE de 2022, la santé est apparue comme une préoccupation politique majeure, notamment dans le contexte de la réponse à la pandémie de COVID-19. La santé reste un élément fondamental du développement durable, il est donc essentiel de maintenir cette priorité dans la mise en œuvre des engagements du partenariat. Des efforts ont été déployés pour stimuler la production locale de produits de santé en Afrique, mais les progrès vers la couverture sanitaire universelle (CSU) ont été lents et les investissements dans les infrastructures et le personnel qualifié dans le secteur de la santé restent désespérément nécessaires. Il est primordial de préserver la souveraineté de l'Afrique en matière de santé et de promouvoir une approche de la santé fondée sur les droits, y compris la santé et les droits sexuels et génésiques (SRHR) et l'égalité des sexes. 

L'accès à une éducation de qualité et inclusive à tous les niveaux, de la petite enfance à l'enseignement primaire, secondaire et supérieur, y compris l'enseignement et la formation techniques et professionnels, est tout aussi essentiel. Des mesures urgentes doivent être prises pour garantir l'accès universel à l'éducation, quel que soit le contexte socio-économique ou autre (par exemple, handicap, réfugiés ou migrants, minorités ethniques, femmes et filles). Il est également essentiel de décoloniser les systèmes éducatifs afin qu’ils reflètent le contexte, les réalités et les défis propres aux pays africains. L'accent doit être mis sur la fourniture d'une éducation abordable, accessible et de haute qualité qui dote la jeunesse africaine des aptitudes et des compétences nécessaires pour prospérer dans un monde en évolution rapide et le façonner. Compte tenu des pénuries actuelles et prévues, en particulier sur le continent africain, il est de la plus haute importance d'investir dans les infrastructures, la formation et le développement professionnel des éducateurs, leurs salaires et leurs conditions de travail. 

Des investissements nationaux et internationaux importants sont nécessaires pour renforcer les systèmes de santé, d'éducation publique et de protection sociale, notamment en élargissant la marge de manœuvre budgétaire des pays africains par le biais d'un allègement de la dette. 

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Les défis auxquels est confronté le partenariat UA-UE ne feront probablement qu'augmenter en gamme et en complexité. L'adoption des ajustements de la pensée et de l'action décrits ci-dessus permettra de franchir des étapes importantes vers la relation sincère et mutuellement bénéfique que les deux partenaires ont appelée de leurs vœux. 

 

Signatories / Signataires 

– ACT Alliance EU

– ActionAids

– Justice and Dignity for the Women of Sahel 

– Africa Europe Faith Justice Network AEFJN 

– African Women's Development and Communications Network (FEMNET) 

– African Youth Commission

– AfroLeadership 

– All Africa Conference of Churches

– Alliance for Food Sovereignty in Africa (AFSA) 

– Bahá´í International Community

– Biodiversity and Biosafety Association of Kenya (BIBA-K)

– Caritas Africa 

– Caritas Europa 

– Centre for Social Impact Studies (CeSIS) 

– CIDSE 

– CONCORD Europe 

– Deutsche Stiftung Weltbevölkerung (DSW) 

– Food and Agricultural Youths Institute of IAAS 

– Independent Continental Youth Advisory Council on AfCFTA (ICOYACA) 

– Network of the Independent Commission for Human Rights in North Africa (CIDH Africa) 

– Observatoire Kisal Bénin 

– One Hour for Europe ITALIA/Youth Intra Dialogue on Europe and Africa (OHFE/Y-IDEA) 

– PELUM Zambia 

– PMU Sweden 

– Red Cross EU 

– Single Mothers Association of Kenya (SMAK) 

– Symposium of Episcopal Conference of Africa and Madagascar (SECAM)

– Syndicat UMT Maroc 

– Tanzania Association of Non-Governmental Organizations TANGO 

– Vienna Institute for International Cooperation and Dialogue (VIDC)

– WaterAid 

– Wetlands International 

– West African Network of Peasants and Agricultural Producers (ROPPA)

– YEWGlobal Foundation 

– Youth Alliance for Leadership and Development in Africa (YALDA)

– Youth Senate Kenya

Innover avec des valeurs : l’engagement des femmes pour repenser les technologies numériques

Innover avec des valeurs : l’engagement des femmes pour repenser les technologies numériques

Une déclaration de la Communauté internationale bahá'íe pour la 67e session de la Commission sur la condition de la femme

New York—22 February 2023

L'évolution rapide des réalités mondiales a conduit à une meilleure reconnaissance de l'interconnexion de l'humanité et, par conséquent, à une plus grande dépendance à l'égard des technologies numériques. Pour de nombreuses femmes, notamment celles qui n'ont pas accès à ces technologies ou qui n'ont pas la capacité de déterminer l'impact qu'elles auront sur leurs communautés, cela a entraîné une augmentation des exclusions et des marginalisations. Pourtant, même si les questions liées à l'accès au numérique et autres problèmes similaires étaient résolus, un défi plus profond demeure. De nombreuses technologies, qui devraient servir d'outils pour étendre les capacités humaines et contribuer à la construction d'une civilisation prospère et solidaire reflétant les valeurs les plus élevées de l'humanité, renforcent au contraire des notions déformées sur la nature et l'identité humaines, sur le progrès et sa finalité. Souvent guidées dans leur conception par quelques privilégiés, de nombreuses technologies sont sous-tendues par des valeurs matérialistes et sont largement transposées sans tenir compte des implications sociales, éthiques et spirituelles. Chaque individu est affecté lorsque la technologie est façonnée par des visions néfastes du monde, mais pour les femmes et les filles, qui constituent une base importante d'utilisateurs et représentent dans de nombreux cas les principaux consommateurs cibles, cela représente un profond défi. Les outils numériques étant de plus en plus utilisés dans divers domaines de l'activité humaine, il devient essentiel d'examiner honnêtement les valeurs et les intentions qui sous-tendent ce processus d'innovation. Il faut placer, au cœur de cette recherche, les points de vue et les contributions que les femmes peuvent apporter pour que les outils du monde moderne, éclairés par les valeurs partagées par toute l'humanité, aident les multitudes à réaliser leur potentiel.

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La technologie peut être un instrument puissant pour développer les capacités humaines et relier les communautés entre elles. Cependant, comme tout outil, la technologie et les espaces qu'elle crée peuvent être déployés d'innombrables façons, apportant des avantages ou renforçant les inégalités existantes. D'un point de vue constructif, les réseaux et les groupes en ligne ont permis de sensibiliser le public aux nombreux défis auxquels sont confrontées les femmes et les filles, tout en élargissant les possibilités de leur participation d'une manière inimaginable auparavant. Mais lorsqu'elles sont guidées par une vision du monde étroite ou par une focalisation court-termiste sur les profits, les technologies ont également été utilisées pour exclure, harceler, exploiter, voire réprimer.

Les technologies numériques ne sont pas neutres en termes de valeur. À l’instar du paradigme traditionnel du développement, l'innovation technologique est profondément influencée par des fondements matérialistes. Les notions de base du progrès assimilent souvent la consommation de biens à des niveaux plus élevés de bien-être. Diverses formes de préjugés et d'inégalités sociales, ainsi que des points de vue sur la nature humaine et le progrès motivés par des considérations étroites de profit, sont souvent intégrés dans la conception ou l'application des technologies numériques et par conséquent promus auprès des utilisateurs, par exemple avec des algorithmes conçus pour maximiser l'utilisation de l'écran, et ce malgré des problèmes de dépendance scientifiquement prouvés. Il est donc essentiel d'examiner honnêtement les présupposés et les normes qui sous-tendent la création et l'utilisation de ces technologies. Comment exprimer de plus en plus, dans les technologies numériques, des conceptions plus complètes de la nature humaine, incluant des qualités et des attitudes telles que la fiabilité, le respect de la vérité et le sens des responsabilités comme éléments constitutifs d'un ordre mondial stable ? Comment impliquer les communautés dans le processus d'identification collective de leurs priorités et de concertation sur l’impact des technologies dans leur contexte local ?

Chaque personne, chaque communauté, est touchée de manière spécifique par les valeurs problématiques qui sous-tendent ces outils, mais l'intégration massive de ces valeurs dans les technologies a eu des effets délétères sur de nombreuses femmes et filles, en particulier dans la manière dont elles sont traitées comme des objets ou incitées à consommer une gamme toujours plus large de biens matériels au nom d'une prétendue amélioration de soi. C'est précisément en raison de ces expériences, tout autant que de l'orientation patriarcale de la culture qui existe dans les espaces décisionnels entourant l'innovation, que la participation des femmes est essentielle pour mieux comprendre comment ces technologies peuvent être conçues et employées de manière appropriée et consciente.

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Le développement de la participation des femmes devra en fin de compte se fonder sur la reconnaissance du fait que la multiplicité des points de vue est une condition préalable à la construction d'un avenir attentif à l'ensemble de l'expérience humaine. Étant donné les problèmes évidents de représentation dans un secteur traditionnellement dominé par les hommes, il faut donner la priorité à l'engagement accru des femmes dans les décisions liées à la conception, à l'utilisation et à la distribution responsables de ces technologies, ainsi que dans la création de contenu numérique. De plus, la représentation équitable, loin d'être une fin en soi, est aussi une condition qui permet aux modèles dominants de concurrence et d'inégalité de céder la place à la collaboration, à la recherche collective et au souci du bien commun. Comme dans de nombreux domaines, les plus grands efforts de changement seront exigés de ceux qui ont largement bénéficié de la culture dominante.

Au-delà du changement de culture dans les lieux et les processus liés à l'innovation technologique, l'engagement des femmes - en fait l'élargissement du point de vue humain dans les processus de recherche - peut contribuer à créer de nouveaux paradigmes pour guider le développement technologique. Bien que la capacité d'explorer les considérations éthiques associées aux technologies numériques puisse être démontrée par n'importe qui, indépendamment du sexe, les expériences de nombreuses femmes, du fait de l'imposition de visions patriarcales du monde, les placent en bonne position pour offrir des vues spécifiques sur le développement de modèles plus complets, inspirés par des qualités telles que la modération, la justice, la diversité et le souci des générations futures. Ce faisant, les femmes peuvent contribuer à ce que ces qualités soient plus systématiquement prises en compte dans le développement technologique.

À mesure qu'un plus large éventail de qualités vient enrichir la culture du secteur technologique, le potentiel de ce domaine peut être étendu. Loin d'être une barrière étouffant l'innovation et la croissance, des formes plus holistiques d'engagement et de recherche, caractérisées par un respect du principe d'égalité des sexes, pourraient débloquer des formes d'innovation reflétant davantage les valeurs collectives de l'humanité.

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Au niveau national, des politiques devront être mises en place pour garantir l'intégration d'une multiplicité de points de vue dans les espaces et les processus liés à l'innovation technologique. La technologie étend le champ d'action de l'homme ; il faut donc veiller à ce qu'elle prolonge, et non qu'elle perturbe, le cadre moral dans lequel s'épanouit la vie humaine. Cela impliquera naturellement des mécanismes visant à soutenir l'engagement réel et total des femmes. Les gouvernements devront également jouer un rôle plus volontariste pour répondre aux menaces actuelles, en veillant par exemple à ce que les femmes, les enfants et les communautés vulnérables soient, sur la toile, protégés contre les violations en ligne des droits de l'homme.

Au niveau international, il sera également indispensable de garantir la diversité des points de vue afin de promouvoir la création, l'utilisation et la distribution responsables des nouvelles technologies, étant donné leur portée et leur fonctionnement intrinsèquement mondiaux. Il sera important à cet égard de réunir les Nations unies, les gouvernements, le secteur privé et la société civile, y compris les femmes, pour analyser clairement les incidences et les valeurs qui sous-tendent le développement des technologies numériques et pour définir des politiques internationales guidées par les principes d'égalité, de justice, d'universalité, de dignité, de confiance et de recherche de la vérité. L'évolution vers le Pacte numérique mondial suggéré par le Secrétaire général des Nations unies, qui garantit que l'innovation technologique s’aligne sur les valeurs mondiales communes, est une proposition qui mérite d'être approfondie. En complément du produit intérieur brut, la conception d’indicateurs de progrès dans l'élaboration de définitions plus complètes du progrès, aidera aussi à vérifier les hypothèses qui sous-tendent la conception technologique. À ce sujet, les Nations Unies ont l’occasion unique d'établir des processus favorisant un modèle plus sain de l'innovation technologique de l'humanité. Il sera essentiel pour arriver à cette fin de donner la priorité aux points de vue des femmes, de les intégrer et de promouvoir leur participation à l'orientation du développement de la technologie numérique. L'exploration des mécanismes visant à améliorer l'éducation des femmes et des enfants, par l'utilisation des technologies numériques, ainsi qu'à assurer leur plein engagement, leur représentation, leur protection et leur bien-être en ligne, pourrait être revue périodiquement par des instances telles que cette Commission.

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Ce moment de l'histoire est l'occasion d'harmoniser l'innovation technologique avec la sagesse la plus noble de l’humanité. Les notions traditionnelles liées au progrès et à la nature humaine sont incapables de répondre à des conceptions plus complètes du bien-être humain et de créer une civilisation florissante, y compris d'inspirer et de guider le développement des technologies numériques. Il est essentiel de faire appel à un plus grand nombre de points de vue pour remettre en question ces postulats traditionnels sous-jacents, afin de tracer un avenir qui concilie le bien-être matériel avec des considérations éthiques, sociales et spirituelles. À cet égard, les voix et les points de vue des femmes, notamment celles qui ont été marginalisées par des visions du monde trop matérialistes, seront indispensables, et leur engagement significatif sera une condition préalable à la création de nouveaux modèles de culture et d’une nouvelle compréhension du développement technologique. Construire un modèle plus holistique qui fait appel à des conceptions plus élevées de la nature humaine et du progrès, et développer des outils qui peuvent être utilisés en réponse aux besoins et aux priorités de communautés spécifiques, pour l'amélioration de leurs sociétés, est une vision de l'innovation technologique qui présente des possibilités illimitées.

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Vers un système alimentaire durable

Vers un système alimentaire durable

Une déclaration du bureau de Bruxelles de la Communauté internationale bahá'íe publiée à l’occasion de la réunion informelle des ministres européens de l'agriculture et de la pêche qui aura lieu du 14 au 16 septembre.

Bruxelles—13 September 2022

 L'aggravation de l'insécurité alimentaire dans de nombreuses régions du monde fait partie des nombreuses conséquences de l'actuelle guerre en Europe. Cette situation n'est, cependant, qu'un symptôme marquant d'un ordre alimentaire mondial déficient. Ces dernières années, la difficulté que rencontre la communauté internationale à faire face à une diversité de menaces allant de maladies infectieuses au changement climatique, a amplement démontré les limites des structures politiques et économiques globales qui sous-tendent le système alimentaire actuel. Alors que l'attention est, à juste titre, accordée au besoin pressant de garantir une production alimentaire suffisante et une distribution adéquate sur le court terme, les présentes réflexions autour de la sécurité alimentaire offrent une occasion opportune pour que le discours s'élève au-delà des préoccupations liées aux causes directes et aborde les défis systémiques de l'ordre alimentaire mondial. En l'absence d'une telle conversation, l'élaboration de politiques sera vouée à basculer de crise en crise tout en se cantonnant à l'identification de solutions partielles.

      Bien que la production agricole mondiale ait connu des avancées ces dernières décennies, la nécessité d'un système alimentaire durable, qui n'exploite ni la main d'œuvre ni les ressources et qui subvient au besoin de l'ensemble de la population mondiale, se fait ressentir. Pour ce faire, une attention particulière doit être portée, outre à l'application de nouvelles technologies, aux principes et aux postulats qui sous-tendent tant la pratique agricole et que la formulation de politiques locales et internationales.

      Le principe d'unicité de l'humanité figure parmi les principes fondamentaux qui devraient régir le fonctionnement d’un système alimentaire. Chaque individu, chaque communauté, chaque nation et chaque région du monde fait partie d'une seule entité où le bien-être des parties est inséparable du bien-être de l’ensemble. Étant donné l'impact des politiques de l'Union Européenne, des initiatives telles que la politique agricole commune doivent être conçues et évaluées en tenant compte de leur impact sur les agriculteurs, les communautés rurales et les économies au-delà des frontières de l'Europe.

      L'avancée vers un système alimentaire promouvant le bien commun dépendra, dans une large mesure, de la forme et du degré d'attention portée aux différentes perspectives. Les efforts visant à réformer le système alimentaire mondial doivent s'appuyer sur la reconnaissance du fait qu'aucun groupe d'acteurs ni aucun continent ne possède à lui seul toutes les connaissances nécessaires pour asseoir la sécurité alimentaire mondiale sur des bases solides. Il faut, à cet effet, faire appel à un processus d’investigation collectif, incluant des mécanismes innovants et des structures connectant différentes parties prenantes de toutes les régions du monde avec des espaces dans lesquels les décisions conséquentes sont prises.De plus, l'élargissement de la participation doit être compris non pas comme une simple négociation visant à produire un consensus tolérable, mais comme une investigation collective sur ce en quoi consiste un système alimentaire durable ; une investigation dans laquelle tous s'engagent de manière significative et à laquelle tous contribuent.

      L'influence historique et actuelle du continent européen, offre à ce dernier à la fois l'opportunité et la responsabilité d'œuvrer au développement d'un ordre alimentaire mondial juste. Si l'ampleur du défi exigera sans aucun doute un engagement à long terme et une réévaluation constante des méthodes et des approches, l'accent mis sur la recherche d'un consensus entre un cercle toujours plus large de parties prenantes contribuera à garantir qu'un processus d'investigation mondial des fondements d'un système alimentaire durable porte des fruits.

L'unicité de l'humanité Implications pour le partenariat Afrique - Union européenne

L'unicité de l'humanité Implications pour le partenariat Afrique - Union européenne

Une déclaration de la Communauté internationale bahá'íe à l'occasion du 6e Sommet Union africaine - Union européenne.

Brussels—15 February 2022

Le sommet Union africaine (UA) - Union européenne (UE) se tient à un moment où l'humanité se trouve au cœur d'une pandémie, d'une crise climatique, de pénuries alimentaires, de conflits violents et d'une myriade d'autres défis socio-économiques et géopolitiques. Ces défis, quelle que soit la gravité de leurs effets immédiats, sont l'occasion de réexaminer les valeurs qui sous-tendent les relations entre l'Afrique et l'Europe.

Ces relations sont souvent décrites comme un partenariat. Le sommet représente une occasion importante d'examiner ce que recouvre le concept de partenariat et de renforcer ses fondements. Un partenariat florissant entre les deux continents ne peut être fondé que sur le principe fondamental que l'humanité est une. Cela implique que le progrès, la prospérité et le bien-être d'un continent sont inextricablement liés au bien-être de l'autre, voire à celui de l'humanité dans son ensemble.

Si de nombreuses personnes souscrivent à cette proposition au niveau des principes, la structure actuelle de l'ordre mondial ne lui donne pas sa pleine expression. Bon nombre des systèmes politiques et socio-économiques actuels ont été créés à une époque où la primauté d'une partie du monde sur les autres était considérée comme un fait établi. Bien que des efforts aient été faits, au cours des dernières décennies, pour surmonter certaines des expressions les plus flagrantes de ce postulat, les structures inégalitaires restent obstinément résistantes au changement. 

Remodeler les structures et les relations internationales selon le principe de l'unicité de l'humanité est une tâche difficile qui nécessitera des efforts sur plusieurs générations. Toutefois, certaines mesures initiales peuvent être prises pour atteindre cet objectif dans le cadre du partenariat. 

Premièrement, le principe d'unicité implique une réorganisation des priorités dans le processus d'élaboration des politiques et des stratégies. La promotion du bien commun mondial doit être considérée comme un objectif primordial, non moins important que la sauvegarde des intérêts nationaux ou régionaux. Les dirigeants et les responsables politiques sont confrontés à une question cruciale lorsqu'ils examinent le bien-fondé de toute action proposée, qu'elle soit nationale ou internationale : une décision fera-t-elle progresser le bien de l'humanité dans son ensemble ? Dans des domaines aussi divers que l'agriculture, le commerce et la finance, le point de départ de la conception et de l'évaluation de tout programme ou de toute politique doit être la prise en compte de son impact sur tous les segments de la société en Afrique, en Europe et dans le monde.

L'UE a mis au point un ensemble d'outils pour faciliter l'élaboration de politiques efficaces et pour évaluer l'impact de ses politiques. Les lignes directrices pour une meilleure réglementation, par exemple, expriment la nécessité d'« évaluer les impacts du point de vue de la société dans son ensemble », en précisant que « la règle de base est de consulter, largement et de manière transparente, les parties prenantes qui pourraient être concernées par l'initiative, en recherchant tout un éventail d'opinions ». Dans un monde interconnecté, les politiques et stratégies de l'UE ont des répercussions mondiales. Par conséquent, les orientations politiques devraient comporter un engagement à comprendre en profondeur l'effet des politiques européennes sur les autres continents, y compris l'Afrique, puis à agir en conséquence.

Une deuxième implication du principe d'unicité se situe au niveau des postures et des comportements. Quelles que soient les difficultés et les restrictionsactuelles auxquelles l'Afrique et l'Europe sont confrontées, une réflexion permanente, sincère et concertée sur le développement de leur relation doit être au cœur d'un engagement efficace entre les deux continents. Dans un processus consultatif qui va au-delà du marchandage et ne préconise pas de solutions préconçues ou prédéterminées, les deux parties abordent leurs interlocuteurs comme ayant la capacité d'apporter une contribution importante à l'établissement d'une relation intercontinentale juste. En fin de compte, l'humanité fait un voyage en commun dans lequel toutes les régions du monde sont des protagonistes importants. 

Pour concrétiser ces implications, il faut notamment créer des espaces qui permettent à une variété d'acteurs africains et européens de s'impliquer conjointement à différents niveaux, des espaces dans lesquels peut se dérouler une conversation ouverte et riche sur leurs besoins, défis et opportunités respectifs. Il est particulièrement important que les acteurs de terrain aient la possibilité de s'engager à différents niveaux auprès des institutions, afin de s'assurer que les politiques et les stratégies élaborées au niveau intercontinental correspondent sur le terrain à la réalité des communautés et des sociétés.Après tout, une meilleure compréhension des besoins d'un endroit particulier ne peut être obtenue qu'en incluant ceux qui, sur place, connaissent leur réalité socio-économique immédiate, apprécient les dynamiques culturelles et sont capables d'identifier des réseaux locaux existants et d’en tirer parti.

L'Afrique et l'Europe font face à des défis qui ne peuvent que gagner en complexité et, qui de fait, impliqueront souvent d'autres continents. Reconnaître et appliquer sans réserve le principe d'unicité aura des effets profonds sur les différentes composantes de la relation Afrique-UE. À cet effet, nous suggérons avec respect qu'au-delà des ajustements décrits ici, toute déclaration commune issue de ce sommet, ou de futurs sommets, fasse explicitement référence au principe d'unicité de l'humanité comme fondement d'une relation sincère et mutuellement bénéfique entre les deux partenaires.

Communauté internationale bahá'íe,

Addis Abeba, Éthiopie

Bruxelles, Belgique

Février 2022

Au cœur de la résilience : La crise climatique, catalyseur d'une culture de l'égalité

Au cœur de la résilience : La crise climatique, catalyseur d'une culture de l'égalité

Une déclaration de la Communauté internationale bahá'íe  à la 66e session de la Commission de la condition de la femme

New York—12 February 2022

Dans un monde où chaque jour les menaces du changement climatique s’accumulent, une  double réalité s’offre à nous : Alors que les femmes sont touchées de manière  disproportionnée par le changement climatique, elles sont particulièrement bien placées  pour diriger les efforts qui tentent d’y répondre. Suite à une catastrophe d'origine  climatique, les moyens de subsistance dépendent directement d'écosystèmes stables et sains  – souvent cultivés par les femmes – qui sont bouleversés. Beaucoup perdent l'accès à la  terre, au logement, ainsi qu’à un soutien financier ou à des aides. Les vulnérabilités  s'accentuent là où les sociétés ne parviennent déjà pas à valoriser pleinement les  potentialités des femmes. Pourtant, les femmes ne sont pas simplement des victimes. Leurs  points de vue rassemblent l'étendue de l'expérience humaine et permettent de construire  une image plus complète de la réalité. Souvent reliées en de vastes réseaux, les femmes  font partie intégrante de l'épanouissement collectif, des solutions communautaires et de la mobilisation des membres d’une communauté. Qu’elles soient à la pointe de la réflexion  économique, responsables politiques, militantes pour le climat, petites exploitantes  agricoles, ou au moyen d’une multitude d'autres capacités, les femmes du monde entier  apportent des contributions considérables en rapport avec l'action climatique, la gestion des  ressources naturelles, la sécurité alimentaire ou l'innovation scientifique, qui conduisent à  des solutions durables. L’expérience des femmes, jeunes ou moins jeunes, offre une vision  judicieuse de la sauvegarde de la maison de l’humanité, pour les générations présentes et  futures. Pour que ce potentiel des femmes soit pleinement exploité, il faudra agir sur au  moins deux fronts : accroître la présence des femmes dans les rôles de direction et créer les  conditions permettant aux femmes de s'engager de manière plus significative dans la vie  communautaire. 

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À tous les niveaux de la société : la famille, la communauté, le gouvernement local,  l'entreprise ou la nation, il est de plus en plus évident que l'humanité ne peut que bénéficier  de la promotion et de l'adoption du leadership des femmes devant la montée des risques  climatiques. Les qualités de leadership généralement associées au masculin : l'affirmation  de soi et la compétitivité, par exemple, trouvent souvent leurs limites lorsqu'elles ne sont  pas tempérées par celles qu’on associe généralement au féminin, telles que la tendance à la  collaboration et à l’intégration, et la disposition à prendre soin des autres et à l'altruisme.  Privilégier les intérêts à long terme, prendre en compte le bien-être des générations futures  et examiner plus largement l'impact sur les hommes des politiques décidées est une  tendance de plus en plus reconnue comme un outil nécessaire à la formulation de stratégies  et de programmes respectueux de l'environnement visant à construire des communautés  plus résilientes. Bien entendu, ces qualités peuvent être illustrées par les dirigeants indépendamment de leur sexe. Cependant, en augmentant la participation des femmes aux  postes de direction, ces qualités influenceront de manière plus cohérente la culture du  leadership et caractériseront les stratégies de mise en œuvre des projets.  

Créer des occasions pour les femmes de participer aux divers niveaux de gouvernance ainsi  que dans de multiples rôles communautaires s'avérera essentiel pour s’assurer que leur  expérience influence de plus en plus les décisions importantes. Cependant, pour que cette  participation s'exprime pleinement, il faudra intégrer intentionnellement le principe de  l’égalité des sexes dans les processus de gouvernance eux-mêmes et reconfigurer les  systèmes institutionnels pour rendre possible des relations équilibrées. La possibilité d’une  participation active des femmes à l'élaboration des prises de décision devra être garantie.  La reconnaissance du fait que la multiplicité des perspectives est une condition préalable à  un questionnement efficace sur les défis qu’affronte la société devra caractériser chaque  délibération. Cela devra faire partie du travail de transformation en environnements  inclusifs des lieux historiquement dominés par les hommes, environnements où tous se  sentiront autorisés à s'engager, et où les hommes, motivés par un esprit de compréhension,  apprendront à consulter et à agir véritablement de concert avec les femmes. À mesure que  chacun sera valorisé pour ses contributions spécifiques à l’intérêt collectif, la confiance, si  essentielle à la résilience de toute communauté, pourra se concrétiser entre les individus  mais aussi dans les institutions engagées pour le bien-être de tous. L'établissement de  relations plus matures au sein des systèmes de gouvernance deviendra donc à la fois un  processus et un résultat dans l'élaboration de politiques capables de répondre aux impacts  du changement climatique. 

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Pour que cette transformation perdure, il faudra que s’enracinent, dans l’ensemble de la  société, le concept de l'égalité des sexes et l’engagement à construire, dans tous les  domaines, une vie publique façonnée à la fois par les femmes et par les hommes, dans un  partenariat dynamique. Pour préparer le terrain à cette culture de l'égalité, des politiques  internationales, guidées par des principes de justice, d'équité et de dignité, seront  indispensables tout comme la création d'institutions mondiales chargées de systématiser les  connaissances acquises par les expériences locales. En effet, le travail de promotion de  l'égalité entre les sexes doit se faire autant dans un contexte local qu'international. Par  exemple, à Dili, au Timor oriental, les efforts déployés, six mois avant un cyclone  dévastateur, pour tisser un modèle unifié de vie communautaire ont contribué à la résilience  de la communauté. « Dans ce court laps de temps, nous avons beaucoup appris sur la façon  de servir ensemble. Chaque jour, nous agissions puis analysions nos résultats avant de  planifier le jour suivant », rapporte un membre de cette communauté. Ce mode de  collaboration, qui s'éloigne des notions préconçues de progrès, a permis de développer les  compétences et les réseaux nécessaires à la formation des structures de secours capables de  distribuer de la nourriture et d'autres produits essentiels. Sans attendre de rémunération, les  membres de cette communauté ont soutenu plus de 7 000 personnes dans 13 villages et  quartiers alors que l'aide extérieure était inaccessible. À Okcheay, au Cambodge, de jeunes  participant à des programmes moraux et spirituels leur apprenant à se mettre au service de  la société, ont conçu collectivement un projet local de plantation d'arbres qui a protégé une  partie de leurs routes de l'érosion du sol lors des graves inondations survenues un an plus  tard. Bien que simples, ces efforts offrent un aperçu de la manière dont le développement de communautés inclusives et cohésives peut contribuer non seulement à la volonté  d’affronter les catastrophes et de survivre, mais aussi de vivre au sens le plus noble du  terme. 

La communauté, élément constitutif de la société mondiale, fournit un lieu où des modes  de vie alternatifs, inclusifs et coopératifs peuvent s'exprimer, où les hommes en viennent à  considérer sans réserve les femmes comme des partenaires égales, et où tous peuvent  développer des capacités de leadership. Construits à la base, ces nouveaux modèles de vie  communautaire s'inscrivent dans une entreprise mondiale plus vaste, car les communautés  qui apprennent à appliquer le principe de l'égalité des sexes, en toutes circonstances et pour  le bien de tous, contribuent à un corpus croissant de connaissances au niveau international.  Ce processus peut prendre diverses formes. Pour sa part, la communauté bahá'íe mondiale,  avec d'autres collaborateurs, a appris à appliquer des principes spirituels à la vie de la  communauté en éliminant les obstacles préjudiciables à la participation des femmes. Grâce  à des programmes d'éducation morale, des attitudes d'unité et de camaraderie sont  inculquées dès le plus jeune âge, de sorte que les participants en viennent à se considérer  comme des alliés précieux qui travaillent au bien-être de leur communauté. Le concept de  renforcement des capacités est au cœur de ce processus : il s'agit d'améliorer la capacité des  participants à mieux comprendre les réalités matérielles, sociales et spirituelles de leurs  sociétés et à concevoir collectivement les prochaines étapes de leur propre voie de progrès,  tout en s'épanouissant en servant les autres. À cette fin, des lieux ont émergé de manière  organique pour que les individus puissent réfléchir ensemble à leurs défis, identifier des  réponses constructives et explorer des questions plus profondes liées au sens de la vie. C’est  dans ces lieux qu’en temps de difficulté, l'espoir peut s’exprimer et où les liens de solidarité  peuvent se renforcer. Les exemples susmentionnés montrent que les capacités, les attitudes  et les qualités qui caractérisent une communauté peuvent renforcer sa résilience face à des  événements extrêmes ou à des difficultés environnementales permanentes. 

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Les Nations unies sont particulièrement bien placées pour montrer à quoi pourrait  ressembler, au niveau international, une telle culture de l'égalité, en créant par exemple,  entre ses multiples agences, des lieux de délibération ouverts, en harmonisant ses divers  processus liés à l'égalité et à l'inclusion des sexes, et en étudiant comment sa structure  interne pourrait refléter de plus en plus ces principes. Les Nations unies joueront sans aucun  doute un rôle essentiel dans l'élaboration de cadres politiques internationaux et dans  l'encouragement du financement d'initiatives favorisant une meilleure appréciation de  l'impératif de l'égalité des sexes. Et elles pourraient faciliter le partage des connaissances  créées par les acteurs à chaque niveau. À ce sujet, des considérations importantes telles que  la manière dont les dispositifs institutionnels et sociétaux peuvent être reconfigurés pour  permettre une participation significative des femmes, ainsi que la manière dont des sociétés  solidaires peuvent être forgées avant même le début d'une catastrophe, pourraient être  revues périodiquement dans des cadres internationaux tels que cette Commission. 

L'état du monde met en évidence une vérité universelle : les expériences collectives de  l'humanité sont partagées et des réponses efficaces exigent que l'ensemble des perspectives  soient représentées à tous les niveaux de gouvernance. On commence à voir des exemples  où des expressions plus matures de la vie communautaire et des dispositions institutionnelles ont permis aux femmes de jouer un rôle de protagonistes efficaces face  aux difficultés locales et aux catastrophes mondiales. C'est précisément dans les périodes  de turbulence qu'il existe de profondes possibilités de redéfinir les valeurs collectives et les  hypothèses qui les sous-tendent. Les défis posés par le changement climatique devraient  servir de catalyseurs pour adopter de nouvelles approches de formes de gouvernance  inclusives ainsi que des modèles de vie communautaire équitables, capables de libérer toute  la gamme des expériences humaines. 

Source URL : https://www.bic.org/sites/default/files/211117_heart_of_resilience- _csw_66_statement.pdf 

Traduction du Bureau des affaires extérieures des bahá'ís de France

 

Leadership pour une culture de l'égalité, en temps de péril et en temps de paix

Leadership pour une culture de l'égalité, en temps de péril et en temps de paix

Une déclaration de la Communauté internationale bahá’íe  à la 65e session de la Commission des Nations unies sur le statut des femmes.

 
New York—24 February 2021

Dans le contexte d'un monde en profonde mutation, le rôle indispensable des femmes aux postes de direction est de plus en plus reconnu. Aux premiers jours de la pandémie de coronavirus, toute une série d'indicateurs à court terme montrent que les nations dans lesquelles les femmes contribuent davantage à la direction de la société ont assuré un certain degré de stabilité, notamment en termes de santé publique et de sécurité économique. Au niveau communautaire, les femmes continuent de jouer un rôle indispensable, et souvent de premier plan, dans les soins aux malades, l'éducation des jeunes, l'assistance aux nécessiteux et le maintien du tissu social et économique en général. Il n'a jamais été aussi évident qu’à tous les niveaux de la société, l'humanité bénéficie de l'adoption et de la promotion du leadership des femmes, que ce soit au sein de la famille ou du village, du quartier ou du gouvernement local, de l'entreprise ou de la nation.  Pour tirer pleinement parti de cette capacité à relever les défis contemporains, il faudra agir sur au moins deux fronts : accroître la présence des femmes dans les postes de direction et dans les affaires de la société, et appliquer plus largement et plus systématiquement les qualités que les femmes tendent à apporter aux processus de résolution des problèmes et de prise de décision.

Toute réflexion sur la participation des femmes à la vie publique doit inclure une réévaluation des modèles de leadership. Les moments de grand péril dans l’histoire de l'humanité exigent des dirigeants à l'esprit bien formé, capables d'exploiter le pouvoir de la science ainsi que les principes moraux et éthiques, et qui consultent un échantillon diversifié de personnes expérimentées dans les domaines concernés. Ces dirigeants harmoniseraient les différentes opinions et favoriseraient le sens de l'effort commun. Résistant aux attraits du pouvoir, ils se caractériseraient par leur intégrité, leur fiabilité et leur adhésion inébranlable à une action fondée sur des principes.

Ces attributs peuvent évidemment se manifester chez des dirigeants sans distinction de sexe, et les politiques féministes et d'égalité des sexes peuvent donner des résultats bénéfiques, quelle que soit la personne qui les promeut. Cependant, il devient évident que la participation accrue des femmes à la vie de la société renforce ces qualités en tant qu'aspect de la culture du leadership -    et pas seulement en tant que caractéristiques personnelles de dirigeants individuels. Les qualités de leadership souvent associées à la masculinité : affirmation de soi, esprit de décision et compétitivité par exemple, se sont révélées limitées ou contre-productives lorsqu'elles n'étaient pas tempérées par d'autres attributs traditionnellement associés à la féminité, tels que la compassion, l'humilité et une tendance à la collaboration et à l’intégration. Les dirigeants les plus efficaces favorisent des environnements dans lesquels les individus et les communautés sont capables de transcender leurs différences de mentalité, de trouver un consensus même dans les situations les plus complexes et les plus difficiles, et d’avancer à partir de ce consensus de manière patiente et délibérée, en respectant à tout moment des critères de justice. Les points de vue et les expériences particulières des femmes, dont leur tendance commune à donner la priorité au bien-être des enfants et des familles ou à considérer plus largement l'impact d’une politique sur les êtres humains, leur permettent de contribuer de manière décisive à la construction d'une telle éthique du leadership. 

Les progrès réalisés dans les aspects les plus visibles du leadership, tels que l'accession des femmes à des postes de haut niveau dans les gouvernements, les universités ou les entreprises, ainsi que dans d'autres lieux où se prennent les décisions comme au sein de la famille ou de la commune, doivent s'accompagner d'évolutions correspondantes dans les mentalités. À tous les niveaux de la société et dans tous les domaines de la vie, une transformation durable nécessitera un engagement de la société dans son ensemble en faveur de l'égalité des sexes et un engagement à construire une vie publique façonnée dans un partenariat dynamique et égalitaire entre femmes et hommes. C'est pourquoi travailler à promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes doit se faire dans le contexte local autant qu'international. Organiser les processus de prise de décision autour de la recherche d'une compréhension collective, solliciter une diversité de points de vue à la recherche de nouvelles perspectives sur des questions complexes, prendre des mesures qui aident une grande variété de parties prenantes à jouer un rôle plus actif dans la vie publique… Encourager de telles approches et de telles valeurs dans les quartiers et les villages contribue à créer un environnement dans lequel les barrières formelles et institutionnelles, telles que les lois discriminatoires et l'accès inégal à l'éducation, peuvent être démantelées. 

Il est tout aussi important de noter que le processus d'élaboration de modèles de vie communautaire plus équitables entre les sexes offre lui-même aux femmes des possibilités de développer leurs capacités et leur expérience en matière de leadership, de participer aux organes de décision et de jouer un rôle beaucoup plus actif et visible dans la vie publique. En s'efforçant de reconceptualiser, en particulier au niveau local, les systèmes et les structures à la lumière des qualités nécessaires associées au féminin, femmes et hommes auront l'occasion d'apprendre à surmonter les obstacles à la participation des femmes, comme leur intimidation dans les espaces majoritairement masculins ou les usages qui confinent les contributions des femmes au cadre du foyer, tous obstacles qui, en fin de compte, nuisent à la bonne gouvernance et à une paix durable. L'impact sur les hommes et les garçons peut être tout aussi important. Donner aux garçons l'occasion, dès leur plus jeune âge, de considérer les filles comme des égales et les femmes comme des dirigeantes, créera une culture de collaboration et favorisera l'apprentissage nécessaire à l'expression durable et croissante de l'égalité. Au-delà de l'effort conscient pour surmonter ces obstacles, une transformation plus poussée doit venir de la prise de conscience que, dans le choix d’une décision, l'entrave à la participation des femmes à tous les niveaux de la société prive l'humanité du potentiel que représente une diversité de perspectives.

L'établissement de relations justes à tous les niveaux de la société peut prendre diverses formes et impliquer de nombreux acteurs, et la pleine participation des femmes dans les lieux concernés s'avérera sans aucun doute indispensable pour construire des modèles de vie équitables. Pour sa part, la communauté mondiale bahá'íe étudie le rôle que l'application de principes spirituels à la vie de la société peut jouer dans l'élimination des préjugés liés au sexe et au genre. Le concept de renforcement des capacités est central à cet égard : il s'agit d'améliorer pour le bien de tous la capacité des femmes et des hommes, des filles et des garçons, à défendre et à appliquer le principe de l'égalité des sexes dans toutes sortes de circonstances et de situations. Grâce à des programmes éducatifs qui visent à faire disparaître les préjugés en leur inculquant des attitudes d'unité et de fraternité, les enfants sont formés dès leur plus jeune âge à avancer au service de leur société côte à côte avec divers acteurs. De simples réunions entre voisins, souvent organisées au domicile des participants, pour prier et pour discuter de la traduction concrète de leurs idéaux religieux, sont également devenues un lieu où les limites séculaires en matière de genre s’assouplissent. Par exemple, la directrice de l’école primaire d’un village indien a remarqué que les réunions de prière, comme on les appelle souvent, sont l'une des rares activités où la possibilité pour les femmes de sortir de chez elles est acceptée par les villageois et où le système traditionnel qui exige que les femmes se retirent et s'isolent commence à céder. Elle observe : « Ce système [culturel] n'est pas plus important que l'éducation des enfants, ou que de laisser les femmes sortir de la maison, ou que d'avoir des concertations entre elles. La façon dont nous sommes capables de nous concerter, de tendre la main à d'autres personnes et de résoudre nos problèmes ensemble est désormais devenue un aspect important de notre vie. » 

Tout au long de l'histoire, les domaines traditionnellement réservés aux hommes n’ont quasiment été ouverts aux femmes que dans des contextes de guerre, de révolution ou de dépression. En temps de crise, qu'il s'agisse de difficultés locales ou de catastrophes nationales, il est vrai que les femmes ont démontré à maintes reprises leurs capacités et leur résilience. Pourtant, lorsque des semblants de paix et de calme sont revenus, la pression sociale a trop souvent relégué les femmes dans les limites de leur foyer. Ce schéma doit être dépassé. Aucune justification rationnelle, quelle qu'elle soit, ne peut être trouvée pour renoncer aux multiples avantages que les femmes apportent à la tâche d'ordonner les affaires de la société. Par conséquent, la Commission et le système international dans son ensemble sont confrontés à cette question d'une importance capitale : En temps de paix comme en temps de crise, comment les capacités des femmes peuvent-elles être prises en compte et intégrées dans la pratique quotidienne comme dans les situations exceptionnelles ?  

Jamais peut-être les liens qui unissent les peuples du monde n'ont été aussi clairs. La reconnaissance de cette interconnexion doit s'accompagner d'une détermination à tirer parti des capacités de l'humanité dans son ensemble et dans la profusion de sa diversité. Aucune réflexion sérieuse sur les prochaines étapes du développement de l'humanité ne peut ignorer la nécessité d'étendre la participation pleine et effective des femmes aux prises de décision et à la vie publique. Ce n'est que dans la mesure où ces capacités s'exprimeront pleinement que les communautés et les sociétés disposeront de la gamme d'outils nécessaires pour relever les nombreux défis auxquels l'humanité est confrontée.

Une gouvernance qui convient L’humanité et le chemin vers un ordre mondial juste

Une gouvernance qui convient L’humanité et le chemin vers un ordre mondial juste

Une déclaration de la Communauté internationale bahá’íe à l’occasion du 75e anniversaire des Nations unies

New York—21 September 2020

Le anniversaire des Nations unies intervient alors que le monde connaît des évolutions rapides qui nous invitent à prendre davantage la mesure de l’interconnexion et de l’interdépendance de l’humanité. Au milieu des perturbations engendrées et accélérées par la pandémie qui submerge la terre entière, on voit aussi apparaître de nombreuses possibilités de changements sociaux susceptibles d’apporter de la stabilité au monde et d’enrichir la vie de ses habitants. Tout au long de l’histoire, les périodes de troubles ont permis de redéfinir des valeurs collectives et les présupposés sous-jacents. C’est le cas de la situation que nous traversons actuellement. La multiplicité des domaines dans lesquels il est nécessaire de transformer radicalement les systèmes et les approches en place, suggère combien crucial sera le quart de siècle à venir — du 75e anniversaire jusqu’au centenaire des Nations unies —dans la détermination du sort de l’humanité. Des voix toujours plus nombreuses appellent à des mesures décisives pour avancer sur le chemin qui nous conduira collectivement vers une paix durable et universelle. Il faut répondre à cet appel.

L’humanité forme une seule famille. Ceci est une vérité qui a été chaleureusement accueillie par des multitudes de par le monde. Ses implications profondes pour notre comportement collectif doivent désormais nourrir un mouvement coordonné vers une unité plus forte sur les plans social et politique. Comme l’a dit Baháʼu’lláh il y a plus d’un siècle, « On n’atteindra réellement la paix et la tranquillité que lorsque chaque homme voudra le bien de tous. » Les dangers qu’encourt une communauté mondiale dressée contre elle-même sont trop grands pour que l’on s’y résigne. 

Le siècle dernier a franchi de nombreuses étapes — imparfaites, mais déterminantes — en jetant les bases d’un ordre mondial susceptible de garantir la paix internationale et la prospérité de tous. La première tentative sérieuse de l’humanité pour créer une gouvernance mondiale, la Société des Nations, a duré 25 ans. Ce qui est impressionnant c’est que les Nations unies ont déjà multiplié cette durée par trois. C’est l’unique structure qui puisse rassembler toutes les nations du monde et qui puisse servir de forum pour l’expression de la volonté commune de l’humanité. Pourtant, les événements récents montrent que le système actuel ne suffit plus à contrer un flot de menaces de plus en plus interconnectées. L’intégration et la coordination doivent aller plus loin. La seule perspective viable est celle d’un système de coopération mondiale grandissante. Cet anniversaire est un moment opportun pour commencer à construire un consensus sur la façon dont la communauté internationale peut mieux s’organiser et pour réfléchir aux critères à l’aune desquels nous mesurerons les progrès accomplis.

Ces dernières années, les critiques éclairées qui s’exprimaient à propos du multilatéralisme ont parfois été éclipsées au profit d’un rejet pur et simple de l’idée même d’un ordre international fondé sur des règles. Mais cette période de recul est ancrée dans un contexte historique plus vaste, qui mène la communauté mondiale en direction d’une plus grande unité. À chaque étape de l’histoire de l’humanité, des niveaux d’intégration plus poussés deviennent non seulement possibles, mais nécessaires. Des défis nouveaux et plus pressants se présentent et appellent le tissue politique à concevoir de nouvelles réponses aux besoins du moment qui passent par une inclusion, une cohérence et une collaboration renforcées. Or les exigences que notre actualité fait peser sur les structures qui orchestrent aujourd’hui les délibérations entre les nations et sur les systèmes de résolution des conflits dépassent leurs capacités à être effectifs. Nous avons donc une étape charnière à franchir : nous devons délibérément organiser nos affaires en ayant pleinement conscience que nous formons un seul peuple et que nous partageons une seule patrie.

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Reconnaître l’unicité de la famille humaine, ce n’est ni appeler à l’uniformité, ni renoncer à la diversité des systèmes de gouvernance en place. On ne peut vraiment apprécier l’unicité de l’humanité sans reconnaître le concept essentiel de diversité. Ce dont nous avons besoin aujourd’hui c’est d’un solide consensus qui, tout en respectant les divers systèmes et cultures de par le monde, incarne un ensemble de valeurs et principes communs qui puissent assurer le soutien de toutes les nations. Nous pouvons déjà discerner un certain accord, autour de ces normes et principes communs, dans les idéaux qui guident les programmes mondiaux tels que l’universalité des droits de l’homme, l’indispensable éradication de la pauvreté ou la nécessité de vivre dans un cadre écologiquement durable. Mais il faut aller plus loin et prendre toute la mesure des implications difficiles que ces idéaux recouvrent.

Un cadre qui accepte une palette de modalités fondées sur un engagement en faveur de l’unité et d’une éthique commune de la justice permettrait l’établissement de principes communs dans d’innombrables cas et formulations. Un tel cadre permettrait d’envisager les différences entre les structures politiques, les systèmes juridiques et l’organisation de la société, non pas comme des points de friction, mais comme des sources potentielles de réflexion pour nourrir des solutions et des approches nouvelles. Dans la mesure où les nations s’engagent à apprendre les unes des autres, les habitudes bien ancrées de contestation et d’accusation peuvent être remplacées par une culture de coopération et d’exploration, et une franche acceptation des reculs et faux pas en tant qu’éléments inévitables de tout processus d’apprentissage.

La véritable reconnaissance de l’interdépendance du monde implique une préoccupation sincère pour tous, sans distinction. D’apparence simpliste, ce principe appelle en réalité à revoir profondément les priorités. Trop souvent, l’avancement du bien commun est perçu comme un objectif de second plan, certes louable, mais qui ne saurait être poursuivi avant que d’autres intérêts nationaux, plus étroits, n’aient été atteints. Cette perception doit changer, car le bien-être de chaque composante de l’humanité est inextricablement lié au bien-être de l’ensemble de l’humanité. Toute consultation sur un programme ou sur une politique devrait commencer par une analyse de l’impact qu’ils peuvent avoir sur tous les segments de la société. À chaque fois qu’ils réfléchissent au bien-fondé d’une action, qu’elle soit locale, nationale ou internationale, les leaders et les décideurs politiques sont donc confrontés à cette question centrale : cette décision fera-t-elle progresser le bien de l’humanité dans son ensemble ?

Quels que soient les bénéfices que l’on ait pu tirer des conceptions passées de la souveraineté étatique, les conditions actuelles exigent des analyses et des processus décisionnels bien plus holistiques et plus cohérents. Quelles seront les implications mondiales des politiques nationales ? Quels choix contribuent à une prospérité partagée et à une paix durable ? Quelles sont les démarches qui cultivent la noblesse de l’être humain et préservent sa dignité ? Comme la prise de conscience de l’unicité de l’humanité devient de plus en plus une part intégrante des processus décisionnels, les nations se considéreront de plus en plus facilement comme de véritables partenaires pour gérer la planète et garantir la prospérité de ses peuples.

Lorsqu’ils considèrent l’impact de leurs politiques, les leaders doivent réfléchir à la notion que beaucoup appellent l’esprit humain — cette capacité fondamentale à rechercher le sens profond et à aspirer à la transcendance. On a tendance à penser que ces dimensions de l’existence humaine, moins tangibles, relèvent du domaine des croyances personnelles et qu’elles restent hors du champ des préoccupations des responsables politiques et des gouvernants. Mais l’expérience nous a montré que le progrès pour tous reste un objectif inatteignable tant que progrès matériel et progrès éthique et spirituel sont dissociés. Par exemple, la croissance économique à l’œuvre ces dernières décennies a, sans conteste, été une source de prospérité pour beaucoup, mais comme cette croissance n’était pas ancrée dans les principes de justice et d’équité, elle a profité de façon disproportionnée à un petit nombre tandis que la majorité vit dans la précarité. C’est d’abord sur les personnes qui vivent dans la pauvreté que pèsent les risques de ralentissement de l’économie mondiale, qui a son tour accentue les inégalités existantes et intensifie les souffrances. Tous les efforts en faveur du progrès de la société, même lorsqu’ils ne visent que les conditions matérielles, reposent sur des présupposés moraux. Toute politique est le reflet de convictions sur la nature humaine, sur les valeurs qui contribuent à la poursuite de divers objectifs sociaux et sur la façon dont les droits et les responsabilités s’articulent. Ces hypothèses de base déterminent dans quelle mesure une décision donnée bénéficiera à tous. C’est pourquoi elles doivent faire l’objet d’une analyse minutieuse et honnête. La promesse d’un monde meilleur ne peut être tenue à moins d’établir consciemment un lien étroit entre progrès matériel et progrès social et spirituel.

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L’évolution vers des relations internationales plus coordonnées et fondées sur une coopération authentique nécessitera tôt ou tard, que les leaders du monde, se rassemblent afin d’engager un processus de refonte et de reconstitution de l’ordre mondial. Car, à la lumière des défis évidents et graves auxquels l’humanité fait face, ce que l’on considérait auparavant comme une vision idéalisée de la coopération internationale s’avère être maintenant une nécessité pragmatique. Pour avancer efficacement sur ce chemin, il sera nécessaire de renoncer aux impasses et aux blocages que l’on connaît, au profit d’une éthique civique mondiale. Nous aurons besoin de processus délibératifs plus magnanimes, plus raisonnés et plus cordiaux, motivés non pas par la préservation de positions enracinées ni par la défense d’intérêts étroits, mais par la recherche collective d’une meilleure compréhension de problèmes complexes. Nous allons devoir écarter les objectifs incompatibles avec la recherche du bien commun. Tant que cette éthique ne sera pas prévalente, le progrès durable restera inaccessible. 

Cette position nourrit une approche du progrès axée sur les processus, qui s’appuie graduellement sur les points forts et répond à une réalité à caractère évolutif. À mesure que grandit la capacité collective à analyser de façon raisonnée et dépassionnée le bien-fondé des propositions quelles qu’elles soient, il devient possible de délibérer sur un éventail de réformes dignes d’intérêt. Ainsi, la mise en place d’une seconde chambre de l’Assemblée générale des Nations unies, composée de représentants élus au suffrage direct — une assemblée parlementaire mondiale en quelque sorte — pourrait contribuer à renforcer la légitimité de l’organisation mondiale et son lien avec les citoyens. Un conseil mondial des affaires futures permettrait d’institutionnaliser l’analyse de l’impact des politiques sur les générations à venir et de réfléchir à des enjeux tels que la préparation aux crises mondiales, l’utilisation des technologies émergentes ou encore l’avenir de l’éducation ou de l’emploi. Le renforcement du cadre juridique applicable à la nature apporterait plus de cohérence et de dynamisme aux régimes applicables à la biodiversité, au climat et à l’environnement et constituerait le socle d’un système commun de gestion des ressources de la planète. La réforme de l’ensemble du système de maintien et de promotion de la paix, y compris la réforme du Conseil de sécurité lui-même, permettrait de substituer aux paralysies et aux impasses que l’on connaît bien une réponse plus décisive aux menaces de conflit. De telles initiatives, ou innovations du même ordre, demanderaient beaucoup de délibérations concentrées et un consensus général en faveur de chacune d’elles serait nécessaire avant qu’elles ne soient acceptées et reconnues comme légitimes. Il est évident qu’elles ne suffiraient pas en elles-mêmes à répondre aux besoins de l’humanité ; néanmoins, dans la mesure où elles apporteraient une amélioration à la situation que nous connaissons aujourd’hui, chacune de ces initiatives serait une contribution à un processus de croissance et de développement réellement transformateur. 

Le monde que la communauté internationale s’est engagée à construire — un monde dans lequel la violence et la corruption auront laissé la place à la paix et à la bonne gouvernance, par exemple, et où l’égalité entre les femmes et les hommes imprègnera chaque aspect de la vie en société —n’a encore jamais vu le jour. Progresser en direction des buts au cœur des programmes mondiaux demande que l’on s’oriente délibérément vers l’expérimentation, la recherche, l’innovation et la créativité. À mesure que l’on avance dans cette voie, il faut respecter plus fidèlement le cadre moral déjà défini par la Charte des Nations unies. Respect du droit international, défense des droits de l’homme, adhésion aux traités et aux accords — ce n’est qu’en honorant concrètement ces engagements que les Nations unies et ses États membres démontreront la qualité de leur intégrité et de leur loyauté aux peuples du monde. À défaut, aucune réorganisation administrative ne permettra de répondre à la multitude de défis de longue durée qui nous font face. Comme l’a dit Baháʼu’lláh, « Les actes doivent suivre les mots car ils sont la vraie mesure des mots. »

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Les années qui vont clore le premier siècle d’existence des Nations unies représentent une période d’opportunité extraordinaire. Elles permettent d’envisager une collaboration à une échelle qui était jusqu’alors inimaginable et qui ouvre d’uniques perspectives de progrès. Cependant, l’échec de parvenir à un accord pour soutenir une coordination mondiale efficace engendrerait des conséquences bien plus graves — potentiellement catastrophiques — que celles découlant des perturbations récentes. La communauté des nations a donc pour tâche de garantir que l’appareil de la politique et du pouvoir sur le plan international s’engage de plus en plus en faveur de la coopération et de l’unité. 

À l’occasion du centenaire des Nations unies, ne pourrait-on envisager que tous les habitants de notre patrie commune soient certains que nous ayons enclenché un processus réaliste de construction de l’ordre mondial qui garantisse un progrès durable pour les siècles à venir ? C’est en tout cas l’espoir de la Communauté internationale bahá’íe et le but vers lequel elle travaille. Nous rappelons l’appel poignant exprimé il y a longtemps déjà par Bahá’u’lláh au sujet des leaders et des arbitres des affaires humaines : « Qu’ils méditent d’abord sur les besoins du moment, qu’ils tiennent conseil et, après avoir consciencieusement et longuement délibéré, qu’ils administrent à un monde malade et cruellement atteint, le remède qu’il requiert. »

Du manque à l’abondance : Reconnaître la capacité de toutes les populations et toutes les personnes à apporter une contribution significative

Du manque à l’abondance : Reconnaître la capacité de toutes les populations et toutes les personnes à apporter une contribution significative

Commission du développement social Cinquante-cinquième session

1er-10 février 2017

Suite donnée au Sommet mondial pour le développement social et à la vingt-quatrième session extraordinaire

de l’Assemblée générale : thème prioritaire : stratégies d’élimination de la pauvreté visant à parvenir

à un développement durable pour tous

[UN Translation]

New York—1 February 2017

« Des  personnes  peuvent  être  pauvres  individuellement  tout  en  étant, collectivement,   source   d ’une   grande   richesse   dans   la   communauté. »   (Une personne aidant des communautés d ’Afrique centrale à créer des écoles soutenues au niveau local.)

L’élimination  de  la  pauvreté  est  un  objectif  des  Nations  Unies  depuis plusieurs décennies, mais les solutions durables se font encore attendre. Tandis que des  représentants se  réunissent pour  définir  des  « stratégies d’élimination de  la pauvreté visant à parvenir à un développement durable pour tous », nous devons nous demander, avec franchise et honnêteté, pourquoi une part consi dérable de la population mondiale est encore privée de ressources matérielles de base.

L’éventail des problèmes profondément enracinés dans nos sociétés actuelles est révélateur d’un ordre économique de plus en plus dysfonctionnel. Les fléaux que  sont  la  richesse  et  la  pauvreté  extrêmes,  les  inégalités  croissantes  et  la corruption systémique déstabilisent les sociétés et déchirent le tissu social d ’un trop grand nombre de communautés. Au bout du compte, ces problèmes mettent en évidence l’absence de véritable consensus social sur des aspects fondamentaux des arrangements économiques contemporains : qu’est-ce que le travail, à quoi sert la richesse et quels sont les devoirs de chacun envers son prochain et envers la communauté? Il est donc dans l’ordre naturel des choses qu’une société qui loue sans vergogne la richesse matérielle devienne profondément inégale, ou encore que les puissances de l’argent, délestées de toute contrainte de responsabilité sociale, façonnent les lois de manière à perpétuer des for mes d’inégalité insurmontables.

Le  traitement  de  questions  structurelles  telles  que  celles -ci  exige  une approche novatrice de la part de pans de population qui n ’ont pas toujours été vus comme des sources de réponses. À cet égard, la Bahá’í International Community estime qu’il sera essentiel pour le système des Nations Unies de développer son aptitude à identifier le potentiel et la force de populations qui, dans certains cas, ont  pu  être  étiquetées  comme  « marginalisées ».  Plus  simplement,  tout  progrès durable vers l’élimination de la pauvreté passera par la transition d ’une mentalité du manque vers une mentalité de l ’abondance.

Le  progrès  en  ce  sens  est  déjà  en  marche,  ne  serait -ce  qu’au  niveau  du discours. Il ressort de plus en plus souvent des débats sur le développement que les communautés disposant de ressources financières limitées ne sont ni silencieuses ni inactives avant que n’arrivent les acteurs internationaux. Dans le même temps, les interactions avec ces populations sont souvent envisagées sous l e prisme des besoins,  des  difficultés,  des  lacunes  et  des  manques.  La  capacité  d ’action  des communautés à faible revenu est reconnue sur le plan théorique. Mais sur le plan fonctionnel, elles  sont  souvent surtout vues  comme des bénéficiaires de programmes  de  services  et  d’aide :  on  leur  demande  ce  qu’elles  pensent  et préfèrent dans une certaine mesure, mais on ne les considère que rarement comme des  interlocutrices  capables  ou  les  partenaires  d ’égal  à  égal  d’une  entreprise collaborative.

Cette  dichotomie  entrave  les  efforts  déployés  pour  s ’attaquer  aux  causes profondes  de  la  pauvreté.  Les  conjectures,  partis  pris  et  préjugés  grèvent  la capacité productive, tandis que les avancées sont sous -estimées ou dédaignées. La mise en œuvre des innovations à faible ni veau de technicité est, à ce titre, assez parlante. Les modes de vie ruraux voient émerger des progrès notables en matière d’efficacité énergétique et de production d ’énergie renouvelable. La portée de ces évolutions  est  universelle  dans  la  mesure  où  la  co nsommation  d’énergie  doit devenir plus durable que ce soit dans les pays à haut niveau de revenu ou les pays à faible niveau de revenu. Or ces innovations ne sont souvent considérées comme pertinentes que là où elles apparaissent : éventuellement approprié es dans le cadre de la coopération Sud -Sud, mais inadaptées aux besoins et réalités des sociétés industrialisées.

Au-delà de leur capacité d ’innovation technologique, les populations à faible revenu affichent aussi un potentiel en matière d ’innovation sociale. En définitive, l’élimination  de  la  pauvreté  ne  peut  se  contenter  de  la  seule  distribution  de ressources matérielles ni se limiter à des considérations comptables. La lutte réelle et durable contre la pauvreté passera par l ’élaboration de nouveaux mod èles de société  tenant  compte  de  principes  moraux  et  spirituels  tels  que  l ’équité,  la solidarité, la justice et la compassion. Il faudra imaginer de nouvelles manières d’être ensemble, de nouveaux moyens d ’envisager le rapport à l ’autre, de nouveaux modes  d’organisation  de  nos  affaires  individuelles  et  collectives.  Et  dans  ce domaine, les zones à haut revenu n ’ont pas plus de connaissances ou de savoir - faire que les zones à faible revenu. Les habitants d ’un village des steppes des hauts plateaux sont tout aussi capables d’instaurer des modes de vie sociale cohérents et dynamiques que ceux d ’un immeuble dressé au cœur d ’une métropole.

Les   difficultés   auxquelles   se   heurtent   les   communautés   pauvres   en ressources  matérielles  sont  importantes.  Ces  populations au ront  besoin,  comme toute autre, de soutien, d ’éducation, de formation et d ’assistance. Ce qui doit être clairement  admis,  toutefois,  c ’est  qu’aucun  groupe  ni  région  n’a  la  capacité d’éliminer la pauvreté dans le monde tout seul, en s ’en tenant à sa seule manière de voir et guidé par sa seule interprétation des enjeux. D ’un point de vue pratique, l’ampleur des transformations nécessaires est tout simplement trop importante. Or une réalité morale entre également en jeu, qui veut que tout progrès de l ’humanité exige des efforts de tout e l’humanité. De  même que tout membre de la famille humaine a le droit de profiter des bienfaits d ’une civilisation prospère d ’un point de vue matériel, social et spirituel, tout membre est capable de contribuer à sa construction.

Faire   siennes   les   implications   de   ce   principe   fondamental   revient   à reconnaître qu’aucun groupe n’est encore en mesure de permettre l ’avènement du monde auquel nous aspirons, collectivement, pour nous -mêmes et pour nos enfants. Pour  y  parvenir,  les  popul ations  financièrement  riches  dépendent  autant  des populations défavorisées que  l ’inverse. De  même,  le  monde  « développé »  aura autant à apprendre du monde « en développement » que vice-versa ces prochaines années. Cette manière d ’envisager l’avenir représente un défi pour certains et va à l’encontre des idéologies d ’exceptionnalité ou d’unicité. Mais une dépendance de cette nature, exprimée par des rapports de soutien et d ’aide mutuelle, est source d’une grande force, et non de faiblesse. Grâce à elle, c ’est le principe fondamental qui  veut  que  l’action  sociale  doive  s’appuyer  sur  l’idéal  de  la  participation universelle  qui  s’exprime.  Et  c’est  sur  ses  bases  que  des  domaines  longtemps

exclus ou négligés pourront être perçus comme des sources dynamiques d ’idées, d’outils, de ressources et d ’approches en tout point aussi efficaces − et nécessaires

− dans les zones à haut revenu que dans les zones à faible revenu.

Pour traduire ces idéaux en réalités concrètes, les défis devront être parfaitement identifiés, en particulier par les organes multilatéraux tels que la Commission du développement social. Or le Programme 2030 est un processus universel, et cette universalité fournit justement un puissant vecteur de reconceptualisation du rôle que les différents acte urs, notamment les populations les moins riches, jouent dans l ’élimination de la pauvreté.

La  reconnaissance  du  potentiel  constructif  de  milliers  de  communautés locales, chacune associée à un contexte et une réalité propres, passera par un processus profondément local. Ainsi, le progrès résultera moins du fait de trouver la « bonne » politique et de son application tous azimuts que d ’une compréhension approfondie du processus grâce auquel les approches efficaces sont définies, mise s en œuvre et modifiées.

Comment cela se traduirait-il dans la pratique? Les mesures susceptibles d’aider les Nations Unies et la Commission du développement social à identifier et reconnaître la capacité où elle se trouve sont les suivantes :

  • Élargir la manière de concevoir l ’expertise et les sources de solutions. Les forums internationaux cherchent souvent des solutions dans un ensemble restreint de sources possibles. Les chercheurs et spécialistes des politiques apportent  des  contributions  précieuses,  mais  la  dépendance  exce ssive  à l’égard de ces ressources peut entraîner l ’appauvrissement du discours, ce qui risque d’entraîner une fixation sur des recettes et ajustements de politiques d’ordre   strictement   technique.   Or,   il   faut   aussi   être   à   l’écoute   des communautés s’employant à  nourrir des modèles d ’interaction sociale plus humains, des personnes s’efforçant de renforcer les capacités d ’autrui et des institutions cherchant à utiliser la connaissance traditionnelle pour relever les défis  contemporains.  Les  compétences de  ce  ty pe  doivent  être  sciemment recherchées et prises en compte dans le débat mondial.
  • Solliciter  les  connaissances  des  bénéficiaires  des  politiques.  Il  n’est  que justice que les représentants des communautés touchées par les politiques participent  à   l’élaboration  de  celles-ci.  Or   « une   place  à   table »  peut facilement être perçue comme un geste purement symbolique. Les décideurs doivent donc être, si ce n’est enthousiaste à cette idée, du moins disposés à tirer  des  enseignements constructifs de  partenaires  sur  le  terrain.  Ce  n’est
  • qu’en incluant les collaborateurs locaux de cette manière qu ’il pourra être dit que leurs initiatives cherchent réellement les solutions partout où elles se trouvent.
  • Chercher des solutions universelles auprès des populations à faible revenu. Le temps où les zones à haut revenu étaient ouvertement portées aux nues en tant que modèle sociétal idéal est révolu. Il n ’est donc plus concevable que les réalisations de certaines populations soient écartées au prétexte qu ’elles ne seraient applicables qu’aux communautés dont les ressources financières sont limitées. Si la communauté internationale doit reconnaître avec sincérité le potentiel des zones à  faible revenu, elle doit se préparer à  identif ier leurs atouts, à adopter leurs réali sations et à tirer parti de leur expérience.
  • Recueillir le récit des approches qui ont fait leur s preuves. La collecte de données    numériques   est    importante,   mais    l ’apport    de    50 personnes contribuant  activement  au  débat  en  émettant  des  idées  et  en  posan t  des questions est bien plus riche que celui de 50 spectateurs passifs. Outre étudier en  détail  les  politiques  qui  ont  produit  des  résultats,  il  est  important  de recueillir  et  de  raconter  l ’histoire  qui  se  cache  derrière  chaque  succès : comment chaque initiative a été mise en œuvre, comment elle a évolué, comment les objections ont été levées et comment leurs différents aspects ont été communiqués. Ce type d’analyse quantitative contribue à concevoir la réflexion sous l’angle des leçons apprises et permet d’extraire, de regrouper et de mettre en œuvre les retours d ’expérience en vue d ’une action future.

Vision commune, volonté commune :Ensemble choisissons le futur de notre monde.

Vision commune, volonté commune :Ensemble choisissons le futur de notre monde.

Déclaration de la Communauté internationale bahá’íe à la Conférence des Nations unies pour le changement climatique de Paris (COP 21).

Paris—23 October 2015

Le changement climatique provoqué par l’activité humaine n'est pas inévitable. L’humanité fait le choix de ses relations avec la nature. C'est là le cœur de la Conférence sur le climat de Paris (COP 21) dont les efforts, de diverses façons, sont centrés sur l’identification des moyens par lesquels de meilleurs choix peuvent être faits. L’ordre mondial actuel a souvent considéré la nature comme un réservoir de ressources matérielles à exploiter. Les graves conséquences de ce paradigme sont devenues trop évidentes aujourd’hui et il est clair que des relations plus équilibrées entre les peuples du monde et la planète sont nécessaires. La question posée aujourd’hui est la suivante : comment de nouveaux schémas d’action et d’interaction peuvent-ils être le mieux mis en place, aussi bien individuellement que collectivement, au travers de choix personnels, de systèmes sociaux et d'institutions publiques ?

L’adoption de l’Agenda des Nations unies pour un Développement durable 2030, avec ses dimensions sociales, économiques et environnementales, a accru la dynamique d'un changement profond. Pour la première fois, il semble possible d’arriver à un accord universel et juridiquement contraignant sur les émissions de carbone. Néanmoins, la durabilité se définit autant par des facteurs humains et sociaux qu’écologiques. Par exemple, une corrélation a été établie entre l’inégalité sociale et la dégradation environnementale, suggérant que les relations tissées entre les êtres humains entre eux ont un impact direct sur les ressources physiques de la planète. Les systèmes mondiaux qui ont laissé beaucoup de gens face à la pauvreté ou dans le besoin ont également appauvri l’environnement naturel.

Une approche plus équilibrée des problèmes de l’environnement devra donc prendre en compte les conditions humaines aussi sérieusement que les conditions naturelles. Celle-ci devra s’incarner dans des normes sociales et des modes d'actions caractérisés par la justice et l’équité. Sur cette fondation peut s’élaborer une vision évolutive de notre futur commun. Et cette vision, à son tour, deviendra un puissant mécanisme pour mobiliser les actions autour du monde et coordonner les nombreux efforts en des lignes d’actions qui se renforcent mutuellement.

Les fondations d’une nouvelle conscience

Mettre l’humanité sur la voie d’un futur plus durable implique des transformations dans les attitudes et les actions. Il est crucial de réformer les structures institutionnelles, ce qui sera d’ailleurs au centre des réunions de la COP 21. Mais au final, ce sont les gens, quels que soient leur rôle et leur place dans la société, qui mettent en pratique les politiques décidées par une administration centrale ou qui les ignorent, qui participent à des programmes bien conçus ou qui continuent à vivre comme avant. Chacun de nous a des moyens d'agir et aucune de nos décisions n’est sans conséquence. Établir des schémas durables de vie collective et individuelle exigera non seulement de nouvelles technologies mais aussi une nouvelle conscience chez les êtres humains, y compris une nouvelle conception de nous-mêmes et de notre place dans le monde.

D’où viendra cette conscience ? Et où trouver la volonté et l’autodiscipline nécessaires pour l’incarner dans les innombrables villes et villages du monde ? Des qualités telles que la capacité à se sacrifier pour le bien-être de tous, à faire confiance et à être digne de confiance, à être satisfait, à donner librement et généreusement aux autres, ne découlent pas d'un simple pragmatisme ou de l’opportunisme politique. Elles proviennent plutôt des sources les plus profondes de l’inspiration et de la motivation humaine dont la foi a démontré qu'elle était un élément clé, tant dans l’efficacité des efforts de durabilité que dans les capacités de l’espèce humaine.

Il faut noter ici le rôle que la foi religieuse doit jouer. La religion s'est montrée une caractéristique de la civilisation humaine qui depuis l’aube de l’histoire a incité d’innombrables multitudes à se lever pour travailler au bien-être d’autrui. La religion offre une compréhension de l’existence et du développement humains qui élève le regard, du chemin rocailleux vers l’horizon lointain. Et dans la mesure où elle reste fidèle à l'esprit de ses fondateurs transcendants, la religion a été parmi les forces les plus puissantes pour créer de nouveaux et bienfaisants schémas de vie collective et individuelle.

La religion offre ainsi une source vitale d’engagement dans de nouveaux modes de vie quotidienne qui pourront se révéler être des défis. Il faut remarquer que les dirigeants religieux et les organisations religieuses sont de plus en plus actifs sur les questions de justice et d’environnement en relation avec le changement climatique. Mais la conviction religieuse ne se traduit pas automatiquement en service pour le bien commun. Il est tout à fait possible, par exemple, de rencontrer une congrégation d’adhérents bien intentionnés dont les actions contribuent très peu à l’amélioration de la société. Il est clair qu’il y a beaucoup à apprendre sur la façon dont de nobles idéaux s’expriment en actions dévouées et durables. En ce sens, les communautés religieuses peuvent être vues comme des communautés de mise en pratique au sein desquelles des enseignements spirituels sont traduits dans la réalité sociale. En leur sein, un processus de renforcement des capacités qui permet aux gens de toutes origines de participer à la transformation de la société peut être mis en route. Découvrir comment cela peut se déployer selon différents contextes et différentes cultures promet d’être un riche domaine d’exploration pour tous ceux qui travaillent sur les questions de durabilité.

Identifier les principes spirituels qui sont à l’origine des défis écologiques peut aussi être une clé pour formuler des actions efficaces. Que l’humanité ne constitue qu’un seul peuple, ou que la justice exige la participation de tous dans le travail de développement durable sont, par exemple, des principes qui reflètent la riche complexité de la nature humaine. Ils participent, ce qui est tout aussi important, à encourager la volonté et le désir nécessaires pour faciliter l’application de mesures pragmatiques. Identifier les principes sous-jacents à un problème donné et définir une action à la lumière de ses exigences est ainsi une méthodologie dont tout le monde peut bénéficier et auquel tout le monde peut contribuer : ceux qui ont un rôle religieux traditionnel, les gouvernants, le secteur des entreprises, la société civile et tous ceux impliqués dans l’élaboration d’une politique publique.

La base d’une action collective

Les initiatives sur les questions de durabilité trouvent souvent leur origine dans le sentiment que nous vivons tous sur la même planète. Bien entendu, il n’est pas question d’ignorer les inquiétudes partagées telles que les problèmes de changement climatique, de migration transnationale et de pandémies, mais une transformation réelle des modes de vie individuels et collectifs exige une compréhension bien plus profonde de l'interdépendance de la biosphère planétaire. Les peuples et l’environnement sont les éléments interconnectés d’un système organiquement intégré. À ce moment de l’histoire, aucun des deux ne peut être compris sans l’autre.

De ceci découle l'idée même de l'unité organique de l’espèce humaine. Le concept de l’humanité constituant un seul peuple, aussi simple en apparence qu’il puisse paraître dans le langage courant, a de nombreuses implications dans l’élaboration d’actions efficaces à tous les niveaux. La COP 21, par exemple, peut être vue comme l’occasion d'appréhender plus profondément les implications pratiques de l’unité de l’humanité, notamment l’obligation de traduire la responsabilité morale que nous avons, les uns envers les autres et envers la nature, en accords concrets, en démarches et en plans d’action.

Une conscience toujours plus riche et profonde de l’unité du genre humain est la seule manière de surmonter les obstacles inhérents aux dichotomies riches / pauvres, Nord / Sud, développés / en développement. Désigner les choses ainsi n'est pas sans fondement puisque certains pays ont effectivement plus de ressources financières que d’autres, mais alors que ces réalités ne peuvent être ignorées, elles ne devraient pas pour autant paralyser une action constructive. Au contraire, elles devraient être incorporées à la vision qu’un monde intégré, prospère et durable ne sera pas bâti par « nous » travaillant avec « eux », mais par nous tous travaillant pour le compte de tout le monde.

Ce principe d'unité de l’humanité éclaire les profondes relations qui existent entre élever le bien-être des peuples et inverser la courbe de la dégradation environnementale. Il est vrai que l'empreinte écologique de certaines régions dépasse de loin celle de certaines autres. C’est une réalité qui devra être traitée à la fois par un choix volontaire et par une régulation gouvernementale. Mais tout aussi importante sera la tâche qui consiste à sortir des milliards d’êtres humains de la pauvreté par des moyens qui non seulement réduiront les dommages causés à l’environnement mais l’amélioreront rapidement. Satisfaire aux besoins sociaux dans le contexte des besoins environnementaux répond aux impératifs moraux urgents du changement climatique. Mais le bien-fondé de ce principe est également extrêmement pragmatique dans la mesure où le changement climatique exige des actions urgentes et que les bénéfices tirés de ces actions seront d’autant plus importants qu’elles seront prises plus tôt.

Les efforts de cette nature établissent aussi la base sur laquelle les peuples et la planète pourront être valorisés aussi explicitement que le profit l’a été. L'idée selon laquelle la poursuite exclusive des gains financiers conduit trop souvent à la destruction des systèmes naturels et des vies humaines est largement acceptée aujourd'hui. Cet héritage rend profondément ambivalent le rôle que les entreprises et le monde financier devraient jouer dans les efforts de durabilité. Aussi complexes et difficiles à résoudre que ces questions puissent être, il semble impératif que des efforts sincères soient mondialement intégrés dans un effort juste qui évite toute forme d’exclusion, source d’opposition, d’hostilité, d’agressivité et de méfiance.

Refondre les relations pour une planète durable

Le principe de l’unité de l’humanité a des implications à tous les niveaux de relations. Le libre arbitre et l'action gouvernementale sont souvent subtilement opposés, comme si l'un ou l'autre détenait ou méritait une préférence. En réalité, bien sûr, les deux sont nécessaires. Tout accord ou protocole au niveau gouvernemental sera insuffisant si les individus n’adoptent pas des styles de vie et des comportements plus durables. De la même façon, les seules actions individuelles – économiser l’eau et réduire les déchets par exemple – seront insuffisantes si le gouvernement ne fait pas les changements nécessaires au niveau structurel. Tout aussi importante est la communauté qui, en tant qu’unité distincte de civilisation, avec ses qualités et capacités propres, a un rôle unique et vital qui ne peut être ignoré. Une intégration croissante entre ces trois niveaux sera nécessaire si l’on veut réaliser des progrès sur le long terme.

À quoi cela peut-il ressembler en pratique ? Les habitudes de consommation peuvent servir d’illustration. Prenons des gens convaincus de l’intérêt du recyclage, par exemple, mais qui vivent dans des quartiers sans centres de recyclage ou de compostage. Sans le soutien du gouvernement, les possibilités d’un changement individuel sont alors très réduites. L'action institutionnelle pour créer un environnement propice est nécessaire. Le gouvernement a un rôle vital à jouer dans l’élaboration des politiques, des lois et des règlements qui seront nécessaires pour soutenir les actions et les comportements désirés.

Mais ce cadre ne fait que planter le décor. Car au final, ce sont les individus qui prennent l’initiative d’adopter de nouvelles manières d’agir ou continuent à vivre comme d’habitude. Le comportement humain et la prise de décision personnelle sont donc fondamentaux pour la réussite des efforts de durabilité, particulièrement dans le domaine des valeurs, de l’éthique et de la morale. Ces qualités peuvent sembler floues ou quelque peu "molles" mais les changements de style de vie ne dureront pas si ce qui dirige notre comportement, c’est-à-dire nos attitudes et nos croyances, ne change pas aussi. Les habitudes de consommation ne changeront pas si le fait de posséder et l’accumulation constante de biens de luxe continuent à être considérés comme de puissants symboles de succès et d’importance sociale. Élaborer des manières de vivre plus durables exigera donc un dialogue continu sur la nature humaine et les conditions sine qua non du bien-être.

Comment faire naître ce dialogue ? Le gouvernement peut y contribuer par des actions éducatives et par des efforts pour que les parties prenantes s’engagent. Mais la communauté a un rôle vital à jouer en rendant possible le dialogue sur les choix et les comportements. Les politiques municipales ou régionales pour la conservation de l’eau sont-elles considérées comme un progrès ou comme un tracas inutile ? Les décisions collectives concernant les infrastructures sont-elles enrichies par une vision commune du futur ou bien les individus ne s’occupent-ils principalement que d’eux-mêmes ? Les qualités d'une culture qui donne corps à de telles questions apparaissent dans le contexte de la communauté. La communauté peut offrir le cadre dans lequel participants, origines, talents et efforts divers se combinent pour réaliser changements et progrès. Elle offre aussi un espace important au sein duquel la population peut arriver à un consensus sur des objectifs et des buts communs et construire une vision partagée du futur. La liste qui s’allonge de ces villes qui prennent des décisions bien plus fortes que leurs gouvernements sur des questions climatiques n’est qu’un exemple du pouvoir inhérent à une communauté capable de poursuivre un but commun grâce à des efforts coordonnés.

Explorer de nouvelles formes d’interaction entre les différents acteurs de la société, tels qu’individus et institutions, sera au centre de la tâche qui consiste à construire des relations plus durables avec la nature et entre les différentes parties de la famille mondiale. Ce travail de réponse au défi du changement climatique mondial tourne, en dernière analyse, autour d’un but : que les humains vivent bien, ce qui est le but que les peuples et les cultures du monde entier cherchent à atteindre. C’est là que peut être trouvé le puissant point d’unité pour soutenir le travail à venir. Nous sommes confiants dans le fait que les efforts des participants à la COP 21 contribueront à la construction d'une solide fondation sur laquelle le bien-être et la prospérité de l’humanité pourront être poursuivis toujours plus efficacement pour cette génération et les générations futures.

Débat général consacré à l’expérience des pays dans le domaine de la population : les adolescents et les jeunes

Débat général consacré à l’expérience des pays dans le domaine de la population : les adolescents et les jeunes

Le Secrétaire général a reçu la déclaration ci-après, dont le texte est distribué conformément aux paragraphes 36 et 37 de la résolution 1996/31 du Conseil économique et social.

New York—16 February 2012

Déclaration

La Communauté internationale bahaïe se félicite de l’occasion qui lui est donnée d’apporter sa contribution aux débats de la quarante-cinquième session de la Commission de la population et du développement sur le thème des adolescents et des jeunes. Nous sommes heureux que la Commission ait choisi de mettre l’accent sur cette période charnière du développement humain, qui ne concerne pas moins d’un milliard de personnes âgées de 10 à 19 ans. Il s’agit d’un moment crucial de l’évolution personnelle des jeunes qui les voit commencer à explorer et mettre délibérément en pratique leurs connaissances, leurs valeurs et leurs croyances concernant la vie individuelle et collective. Au cours de cette période, ils assument de nouvelles responsabilités : on les voit fournir des soins à domicile, contribuer aux revenus familiaux et devenir des protagonistes du changement dans leur communauté ou leur pays. Au terme de cette période, ils sont nombreux à assumer en totalité les responsabilités qui reviennent aux adultes.

L’accroissement prévu de la population mondiale ne présente pas que des défis. Il offre aussi des possibilités multiples pour les gouvernements et les pays. Selon les données du Département des affaires économiques et sociales, dans 56 pays, la moitié de la population a moins de 20 ans et la page Web de U.S. Global Health Policy intitulée « Population Under Age 15 (percent) » (la population de moins de 15 ans en pourcentage) indique que dans 47 pays, 40 à 50 % de la population a moins de 14 ans. Les statistiques actuelles dressent un tableau sombre de ce groupe : la moitié de ses membres vivent dans la pauvreté et un quart disposent de l’équivalent de moins d’un dollar par jour pour survivre. Selon les données du Fonds des Nations Unies pour l’enfance et de l’Institut de statistique de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), en 2009, 67 millions d’enfants en âge d’être scolarisés dans le primaire et 72 millions en âge de l’être dans le premier cycle du secondaire, des filles en majorité, ne recevaient pas une éducation formelle. Si les défis qui en découlent sont redoutables, il convient de ne pas considérer les jeunes comme des victimes en attente de solutions à leurs problèmes. Ce groupe représente au contraire une formidable source de potentialités intellectuelles et sociales qui ne demandent qu’à se développer et être orientées vers des destinées socialement constructives. L’avenir de la société d’aujourd’hui sera en grande partie fonction de la capacité de concevoir des méthodes et des programmes éducatifs propres à libérer le potentiel latent des jeunes et préparer ces derniers au monde dont ils vont hériter. Le rapport entre l’éducation et le bien-être individuel et collectif est clairement établi et confirmé aux paragraphes 11.2 et 11.3 du Programme d’action de la Conférence internationale sur la population et le développement et du Programme d’action mondial pour la jeunesse à l’horizon 2000 et au-delà. Notre contribution à la présente session de la Commission porte essentiellement sur une dimension particulière de l’éducation, à savoir « l’éducation au service de la communauté » qui, selon notre expérience, est au coeur de la transformation de la vie individuelle et communautaire. Il est bien connu que les forces qui influent sur le développement intellectuel et affectif d’un enfant ne sont pas confinées à la salle de classe. Les forces qui agissent sur les jeunes au travers des médias, de la technologie, de la famille, des pairs, de la collectivité dans son ensemble et d’autres institutions sociales véhiculent des messages qui peuvent à certains égards les conforter dans leurs orientations ou dans d’autres cas les contrarier, ce qui contribue à brouiller les  idées que se font de nombreux jeunes de leur identité, de leur sens moral et de la réalité sociale. En tant que telle, l’éducation formelle doit aller au-delà de l’objectif qui consisterait exclusivement à aider les jeunes à se procurer un emploi rémunérateur. Les mécanismes éducatifs devraient les aider à prendre conscience de leurs potentialités et à les exprimer tout en développant en eux la capacité de contribuer à la prospérité spirituelle et matérielle de leur communauté. On ne peut en effet développer pleinement ses talents et ses capacités en s’isolant d’autrui. La notion d’un sens moral à deux volets – le développement du potentiel inhérent à chacun et la contribution à la transformation de la société – est un axe important du processus éducatif. Quand on examine les influences qui façonnent les esprits des jeunes et des adolescents, il devient vite apparent que de nombreuses forces engendrent la passivité et le désir de distraction. De telles forces contribuent à la formation de générations entières prêtes à se laisser mener par ceux qui ont l’habileté d’exploiter les émotions faciles. Nombreux sont les programmes éducatifs qui considèrent les jeunes comme de simples récepteurs d’information. Face à cette tendance, la Communauté Bahaïe s’efforce dans le monde entier de développer une culture qui encourage une manière indépendante de penser, d’étudier et d’agir, dans laquelle les jeunes se voient unis dans leur désir d’oeuvrer pour le bien commun, de se soutenir mutuellement et de progresser ensemble, dans le respect du savoir de chacun.

Bien que les conditions varient beaucoup d’un pays à un autre et d’une collectivité à une autre – rurale ou urbaine, riche ou pauvre, vivant dans la paix ou l’insécurité – le savoir occupe toujours une position centrale dans l’épanouissement des jeunes. L’accès à la connaissance est le droit de tout être humain. La responsabilité de faire naître de nouvelles connaissances et de les appliquer selon des modalités bénéfiques pour la société repose sur les épaules de chaque jeune. De la même façon, la création de conditions favorables à ce processus est le devoir de chaque gouvernement. La participation effective des jeunes aux affaires de la collectivité ne peut se passer de l’accès à la connaissance. La cible première des processus éducatifs doit donc être de rendre les jeunes capables de jouer pleinement leur rôle en tant que protagonistes du progrès social.

La participation effective revêt aussi la forme d’un emploi stable et productif. L’enseignement qui n’inculque pas aux jeunes la conscience de leurs potentialités inhérentes, de leur rôle en tant que citoyens actifs et des besoins de leur communauté ne fait qu’amoindrir leurs perspectives d’emploi, ce qui en retour incite les jeunes qui ont fait des études à quitter les régions rurales pour les zones urbaines et les pays non industrialisés pour ceux qui le sont. Souvent perçus comme simples bénéficiaires d’une éducation, les jeunes doivent participer à l’élaboration des systèmes éducatifs et permettre ainsi d’harmoniser le contenu de l’enseignement et ses méthodes avec les besoins et les désirs de leur communauté. Les taux de croissance démographique qui s’accélèrent chez les jeunes et les adolescents dans certaines parties du monde ne font que souligner encore plus cette urgente nécessité. Pour permettre aux jeunes de jouer un rôle plus important, il convient de s’attaquer aux inégalités dont souffrent les filles pour accéder à une éducation de qualité. Comme on l’a souvent affirmé, l’éducation des filles a un effet multiplicateur, qui se traduit par une diminution des risques de mariage précoce, une meilleure probabilité de voir les filles jouer un rôle éclairé et actif en matière de planification familiale, une baisse de la mortalité infantile et maternelle, une plus  grande participation des filles à la prise de décisions dans les domaines social, économique et politique et à la promotion de la prospérité économique. Il est particulièrement urgent d’agir à ce sujet dans les parties du monde où les adolescentes sont données en mariage et commencent à avoir des enfants. On ne peut faire profiter les filles des mêmes chances d’éducation sans faire admettre que l’égalité des hommes et des femmes, comme des garçons et des filles, est une vérité fondamentale de la réalité humaine, non une simple condition qu’il serait souhaitable de réaliser pour le bien de la société. La pleine participation des femmes et des filles dans les domaines de la politique, des sciences et de la technologie, du commerce et de la religion, pour n’en nommer que quelques-uns, est nécessaire pour favoriser un ordre social enrichi des contributions et de la sagacité de la moitié de la population mondiale. Compte tenu de la très forte influence exercée par les femmes sur la santé et le bien-être de leurs enfants, les carences maternelles en matière d’éducation vont dans la plupart des cas se multiplier de génération en génération. Il importe donc que les gouvernements honorent les engagements qu’ils ont pris d’interdire des pratiques aussi contraires à la justice que l’infanticide, la sélection du foetus en fonction du sexe, les mutilations génitales féminines, la traite des filles et leur exploitation à des fins de prostitution et de pornographie; il convient aussi qu’ils fassent respecter les lois garantissant que le mariage ne peut être contracté qu’avec le libre et plein consentement des futurs époux. L’objectif primordial doit être la lutte contre les causes profondes des stéréotypes sexistes pour permettre à toutes et à tous de jouer le rôle qui leur revient dans la transformation de la société. Les investissements que font les États dans l’éducation et la santé de leurs jeunes et leurs adolescents sont en fait un investissement dans la stabilité, la sécurité et la prospérité du pays lui-même. Les approches et méthodes éducatives, guidées par les besoins et les désirs des différentes collectivités, appuyées par les familles et les institutions sociales et inspirées par la réalisation du potentiel latent inestimable qui réside en chaque enfant, fera prendre conscience aux jeunes et aux adolescents non seulement de leurs propres capacités intellectuelles, mais aussi de leur rôle en tant que protagonistes du changement dans leur communauté et dans le monde.

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