Mobiliser les ressources institutionnelles, juridiques et culturelles nécessaires pour parvenir à l’égalité entre les sexes

Statements

Mobiliser les ressources institutionnelles, juridiques et culturelles nécessaires pour parvenir à l’égalité entre les sexes

Commission de la condition de la femme Cinquante-deuxième session Point 3 a) i) de l’ordre du jour provisoire Suivi de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes et de la session extraordinaire de l’Assemblée générale intitulée « Les femmes en l’an 2000 : égalité entre les sexes, développement et paix pour le XXIe siècle » : réalisation des objectifs stratégiques et mesures à prendre dans les domaines critiques et nouvelles mesures et initiatives : financement de la promotion de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes Déclaration présentée par la Communauté internationale bahaïe, organisation non gouvernementale dotée du statut consultatif auprès du Conseil économique et social Le Secrétaire général a reçu le texte de la déclaration ci-après, qui est distribué en application des paragraphes 36 et 37 de la résolution 1996/31 du Conseil économique et social.

New York—1 February 2008

Déclaration

Le rôle central des femmes dans l’épanouissement des familles, des communautés et des nations n’est plus à démontrer : les femmes sont les premières éducatrices de la génération suivante; leur niveau d’éducation a un impact considérable sur le bien-être physique, social et économique de la famille; leur participation à l’économie accroît la productivité et stimule le progrès économique; enfin, leur présence dans la vie publique est synonyme de meilleure gouvernance et de baisse des niveaux de corruption. Aucun pays, toutefois, n’est encore parvenu à instaurer l’égalité absolue entre les sexes. Si ce sont les femmes qui paient au premier chef le prix de cette inégalité persistante, toutes les facettes de la société voient leurs chances de progresser compromises lorsque la moitié de la population mondiale n’est pas libre de réaliser son potentiel.

Ces dernières décennies ont été marquées par l’adoption de documents historiques sur les droits des femmes, appelant à mettre fin à toutes les formes de discrimination à leur égard et proposant des stratégies pour promouvoir l’égalité entre les sexes[i]. La mise en œuvre systématique de ces mesures exige bien entendu une remise à plat des priorités et des processus budgétaires. L’aspect financier, toutefois, n’est qu’un élément de l’équation. Comme la Communauté internationale bahaïe l’a noté dans sa déclaration à la cinquante et unième session de la Commission de la condition de la femme, il existe encore un fossé gigantesque entre l’appareil juridique et la culture – incarnée dans des valeurs et des normes institutionnelles – indispensables pour parvenir à l’égalité entre les sexes[ii]. Par conséquent, si l’on veut mettre en œuvre une approche globale du financement de l’égalité des sexes, il faudra s’attaquer à une constellation d’obstacles d’ordre culturel, institutionnel ou juridique qui freinent l’émancipation si nécessaire de la moitié de la population mondiale.

Dans cette perspective, nous proposons aux gouvernements d’envisager : a) d’adopter une perspective à long terme dans laquelle inscrire les efforts prévus à court et à moyen terme pour financer la promotion de l’égalité entre les sexes; b) d’évaluer les budgets nationaux à l’aune de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes; et c) de faire cas des perspectives et des institutions religieuses.

Adoption d’une perspective à long terme

Pour proposer une vision cohérente et convaincante de l’égalité entre les sexes, les dirigeants devront renoncer à un mode d’opération essentiellement réactif, lié à des crises. Parallèlement aux objectifs à court terme, ils devront concevoir des politiques à long terme affranchies du carcan intellectuel que constituent les cycles électoraux. S’intéresser uniquement aux objectifs à court terme, c’est bien souvent se retrouver prisonniers de normes minimales, d’orientations étroites et de positions de compromis. Une perspective à long terme, sur deux ou trois générations ou davantage, permettrait aux gouvernements d’envisager un plus large éventail d’options en matière de politiques et de programmes, ainsi que des contributions diverses – dont celles d’organisations non gouvernementales, d’instituts universitaires, du secteur des affaires ou du secteur informel[iii].

Une approche à long terme suppose tout d’abord un consensus sur les grands objectifs de développement et les résultats à atteindre. Les gouvernements devront formuler les objectifs en matière d’égalité entre les sexes dans la perspective du bien-être de la société, qui ne se limite pas au bien-être de ses enfants, garçons et filles, et de ses hommes et de ses femmes, mais inclut sa paix et sa sécurité, sa santé et son épanouissement, son progrès économique, la protection de son environnement et ses institutions de gouvernance. Une approche à long terme suppose ensuite que l’on mesure les progrès accomplis en direction des objectifs déclarés. Même lorsqu’un pays est sensible à la problématique hommes-femmes, il arrive souvent qu’il ne dispose pas des outils et des systèmes qui lui permettraient d’évaluer l’impact de ses politiques sur la vie des femmes. L’élaboration d’indicateurs sera donc indispensable pour déterminer l’efficacité des initiatives en matière de financement. Étant donné la diversité des contextes nationaux et locaux, il ne sera pas possible d’établir des indicateurs valables dans toutes les circonstances et chaque région devra mettre au point ses outils. La Communauté internationale bahaïe attend avec intérêt de participer à des débats sur cette initiative capitale.

Aligner les budgets nationaux sur les normes en matière de droits de l’homme

Notre deuxième recommandation à l’intention des gouvernements a trait aux mesures à prendre pour adapter les budgets nationaux aux normes internationales en matière de droits de l’homme. Loin d’être neutre sur le plan des valeurs, un budget reflète les valeurs du pays – en montrant qui, dans la société, est apprécié et quel travail est récompensé[iv]. Si, en règle générale, les budgets ne sont pas formulés dans une optique d’égalité entre les sexes, la prolifération d’initiatives du type Gender Budget Initiatives donne à penser que ces deux mondes commencent à se rapprocher pour que les processus budgétaires soient conformes aux obligations des États en vertu de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Ce type d’analyse intégrant la problématique hommes-femmes permet de détecter les inégalités entre les sexes dans les processus budgétaires, les allocations de crédits et les résultats escomptés et d’évaluer les responsabilités des États s’agissant de remédier à ces inégalités[v]. Pour être efficace, toutefois, l’approche fondée sur les droits fondamentaux ne doit pas seulement viser les femmes parvenues à l’âge adulte, mais doit être appliquée à tous les stades de leur existence – de la naissance à l’enfance et à la jeunesse – dans la mesure où la discrimination commence et où ses effets se font sentir dès leur plus jeune âge.

L’approche fondée sur les droits fondamentaux n’est pas sans précédent. Un certain nombre de pays sont parvenus à garantir aux femmes les mêmes droits qu’aux hommes sur le plan politique, à accroître leur taux de participation à la force de travail et à les aider à trouver un équilibre satisfaisant entre leur travail et leurs obligations familiales[vi]. Les gouvernements auraient intérêt à examiner de près les pratiques des pays qui sont parvenus à marquer des points face à ces problèmes apparemment insolubles. À cet égard, la Norvège, que le Programme des Nations Unies pour le développement place en tête de tous les pays pour ce qui est de l’indicateur sexospécifique du développement humain et l’indicateur de la participation des femmes, peut servir d’exemple. Une analyse des politiques sexospécifiques efficaces et des obstacles juridiques, institutionnels et culturels à leur adoption dans d’autres pays permettrait de formuler des recommandations sur la base d’exemples concrets.

Ouverture aux religions et aux dirigeants religieux

Trop souvent, les responsables politiques hésitent à prendre en compte les dimensions culturelles et religieuses de la façon dont sont traitées les femmes
– craignant qu’une telle démarche ne provoque des dissensions ou faute de savoir à qui s’adresser et comment procéder. Pourtant, si les progrès en matière d’égalité entre les sexes sont si désespérément lents, c’est parce que l’attention portée au rôle et aux responsabilités des femmes remet en question certaines des attitudes les plus profondément ancrées dans l’être humain. Étant donné la formidable capacité des religions à influencer les masses – tant pour les inspirer que pour les rabaisser – les gouvernements ne peuvent pas se permettre de les ignorer.

En l’absence d’un dialogue suivi entre les gouvernements et les religions, l’extrémisme religieux gagne du terrain. Alimenté selon les périodes par la pauvreté, l’instabilité et les changements socioéconomiques qui accompagnent la mondialisation et l’accès aux technologies de l’information, le radicalisme religieux exerce une influence considérable sur les responsables politiques et sur les politiques publiques. La participation des femmes à la vie publique fait souvent les frais de cette situation, comme le montre dans certaines régions du monde le retour à une conception particulièrement étroite de la place de la femme dans la famille, la communauté et le monde. La réduction des fonds disponibles pour la promotion des droits des femmes est attribuée, en partie, à ces changements sociaux et culturels. Pour compliquer encore les choses, de nombreux États continuent à se protéger en émettant des réserves, d’ordre culturel ou religieux, aux instruments internationaux relatifs aux droits des femmes. Aujourd’hui – près de 60 ans après l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme et 26 ans après l’entrée en vigueur de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes – les gouvernements ne peuvent plus fermer les yeux sur les pratiques et doctrines religieuses qui violent de manière flagrante les normes internationales en matière de droits de l’homme. Ces pratiques et doctrines doivent faire l’objet d’un examen attentif.

Malgré ces circonstances difficiles, les organisations religieuses constituent l’une des formes de réseau les plus anciennes et les plus influentes. Dans de nombreux pays déchirés par des conflits, elles sont les seules institutions qui subsistent. En matière de santé, d’environnement, d’allégement de la dette et de secours humanitaires, les organisations religieuses sont à l’avant-garde des efforts faits pour toucher des zones négligées et pour influencer les politiques gouvernementales. Qui plus est, compte tenu de l’impact considérable de la religion et de la culture sur la manière dont le rôle des femmes dans la société est perçu, il est logique que les organisations religieuses et leurs adhérents participent concrètement aux efforts déployés pour promouvoir l’égalité entre les sexes. Si, à première vue, la langue des finances et de l’économie semble incompatible avec celle de l’éthique et des valeurs (communes aux religions), tant les gouvernements que les organisations religieuses doivent se familiariser avec le raisonnement et les perspectives des uns et des autres – en reconnaissant qu’ils sont confrontés à la même réalité. Aucun système économique équitable n’est envisageable s’il n’existe pas de consensus sur des valeurs fondamentales; inversement, une éthique et des valeurs coupées des conditions économiques resteront lettre morte.

En adoptant une perspective à long terme, en s’efforçant d’intégrer dans le budget national leurs obligations en matière de droits de l’homme et en entamant un dialogue avec les religions, les gouvernements pourront mobiliser les ressources institutionnelles, culturelles et juridiques dont ils ont besoin pour financer l’instauration de l’égalité entre les sexes. Toutefois, il convient de garder présent à l’esprit que l’autonomisation des femmes n’est pas un privilège, un exercice technique ou un remède miracle. Elle relève d’une ambition beaucoup plus vaste qui consiste à créer une société ordonnée dans laquelle les relations entre hommes et femmes, parents et enfants, employés et employeurs, gouvernants et gouvernés ne sont pas seulement conformes à la justice, mais répondent aux plus nobles aspirations de l’humanité.

 


       [i] La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, le Plan d’action de Beijing, la résolution 1325 du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité, ainsi que les objectifs du Millénaire pour le développement proposent à la fois une vision d’ensemble et des plans d’action concrets.

 

       [ii] Communauté internationale bahaïe (2006), Beyond Legal Reforms: Culture and Capacity in the Eradication of Violence Against Women and Girls, New York.

 

      [iii] Étant donné qu’il faut à peu près 17 ans à une personne pour achever le cycle d’études secondaires et une vingtaine d’années pour obtenir un diplôme de l’enseignement supérieur, seule une perspective à long terme permet de prendre en compte toutes les ressources d’une nation en matière d’éducation et de rechercher éventuellement à les adapter aux besoins.

 

      [iv] Budlender, D. (éd. 1996), The Women`s Budget, Institute for Democracy in South Africa (IDASA), Cape Town.

 

       [v] Elson, Diane (2006), Budgeting for Women's Rights: Monitoring Government Budgets for Compliance with CEDAW, Fonds de développement des Nations Unies pour la femme (UNIFEM), New York.

 

         [vi] Hausmann, Ricardo, Laura D. Tyson et Saadia Zahidi (2007), The Global Gender Gap Report 2007, Forum économique mondial, Davos (Suisse).